Comment aborder les filles en soirées

«Comment aborder les filles en soirée ?» : une vraie question !
Les réponses pourraient donner l’occasion à de sketchs drolatiques, des sketchs narrés dans des petits Mickeys vendus au rayon bédés des grandes surfaces spécialisées dans la culture des jeunes de maintenant. Des jeunes qui liraient encore, à condition que ce soit pas trop prise de tête. Genre «Ma vie de merde avec les meufs» ou, je sais pas moi, «Quizz pour qui veut pécho», avec des dessins façon silhouettes sans trop de décors mais aux visages très expressifs qui montrent bien le malaise. Genre dur quoi, mais pour l’autre, pas pour toi qui rigole trop en le lisant parce que surtout les phrases sont courtes !
Sauf que non, c’est pas ça du tout Comment aborder les filles en soirées.

Un autre monde

Un indice qui ne trompe pas : c’est du Neil Gaiman. Celui de Sandman (on parlera bientôt de son retour qui est un début), de Miracleman (déjà traité ici même), ou encore d’American Gods – extraordinaire roman devenu cette année une fabuleuse série, car par lui adaptée. Et qu’il aurait fallu citer comme précurseur des Fables aussi sujettes d’EO.
Bref c’est un génie et je pèse mes mots !
Donc, pas d’historiettes marrantes à base de répliques faciles dans un cadre convenu. Gaiman n’est pas l’homme des stéréotypes mais plutôt des archétypes. Ce qui n’est pas une évidence à la découverte de ce très court volume.
En fait, adaptant une de ses propres nouvelles (sens européen), il nous mène à la suite de deux adolescents qui pourraient bien se poser les questions sus-évoquées. L’un est hardi, au contact facile avec les filles, l’autre, le narrateur, est timide et résolu à le rester.
Plutôt que d’être ridicule, il préfère ne pas suivre son copain à une vague fête, mal localisée, dans ce qui semble être un quartier résidentiel d’un Londres un peu daté, et où ils ne sont que très peu invités. Après avoir sonné là où il y a un bruit festif, on leur ouvre et «des filles, des f…, …illes»…
Et c’est un autre monde qui leur apparaît.
«Je n’aurait pas su dire quel âge elle avait, ce qui était l’une des choses qui m’énervais le plus chez les filles… au départ on traverse tous le temps à la même allure. Et puis, un jour… elles savent tout sur tout… et Dieu seul sait quoi d’autre encore… moi, c’était sûr, je savais pas».
Ce qu’il va se passer dans cette maison très anglaise du cœur de Londres aurait aussi pu être écrit par le Pauwels du Matin des magiciens, plus que de l’Amour monstre, enfin au sens où ça palpite certes d’émotions naissantes et puissantes mais aussi de visions à l’aulne de celles qui mènent au carrefour de deux chemins.
Gaiman est Janus et son histoire est double. Métaphorique et troublante, mais aussi réaliste et adictive. Le mieux étant de la lire simultanément en louchant. C’est le vertige qui importe.

danse 2L’hypothèse extra-terrestre

Gaiman nous guide pourtant clairement de la réalité au rêve, ce qui est déjà une interprétation orientée. On pourrait aussi dire qu’il dévoile à ses jeunes héros une réalité profonde cachée sous des voiles d’illusion.
Ce qui serait une définition précise pour l’apocalypse de la puberté, un dévoilement redouté mais obsédant. Les Salomé de l’histoire n’ayant manifestement rien à cacher, les pauvres gens que sont ces deux gamins en perdront facilement la tête !
Pour le lecteur c’est le sens le plus immédiat. À peine introduit dans cette maison remplie de créature féminines toutes plus débordantes d’une séduction très seventies – jupes courtes, poses dansantes, jambes sans gravité, grâce permanente, calice à leur beautés – le narrateur se voit confronté à des discours dont il n’a pas les codes. Mais le lecteur non plus !
L’hypothèse extra-terrestre semble donc évidente, d’autant plus que les visiteuses se définissent clairement comme touristes et décrivent des situations hors normes, en tout cas dans notre système de réalité, mais qui seraient tout à fait en phase avec, par exemple, un épisode multi-dimensionnel de Miracleman.
Mais Neil Gaiman ne saurait être aussi simple. Plaidant pour une métaphore plus concrète, on trouve des éléments clairement euphorisants : la cuisine où il y a plein de choses à boire mais surtout le vertige permanent du narrateur face à l’étrangeté – incompréhensible par nature – de l’autre sexe. Il ne comprend pas de quoi elles parlent ? Et alors ? C’est une situation habituelle pour lui et tous les garçons de son âge : elles sont d’ailleurs mais toutes les filles le sont !

poesie
Des dessins presque décevants

Accentuant la plongée onirique de l’histoire, il faut bien parler des dessins. Le début, juste les quelques pages d’introduction à l’autre monde, est presque décevant. Ce qui pour une intro fait redonder la déception par vexation d’une anticipation au plaisir. J’en connais certains qui déploreront le peu de cas que semble faire parfois Gaiman dans le choix de ses dessinateurs.
Ça a été vrai pour des épisodes de Sandman (mais surtout pas du nouveau, qui est éblouissant), ici pour être méchant sinon injuste, Fabio Moon & Gabriel Ba (pourtant auteur à succès de Daytripper tout autant critiquable) ne détonneraient pas dans les bédés repoussoirs évoquées plus haut.
Les personnages masculins ont des mines convenues. Les expressions sont peu fines. Il y a beaucoup de facilités dans les visages. Mais cette légèreté dans les traits est paradoxalement celle qui donne ensuite une partie de la grâce onirique des scènes fascinant les malheureux héros et bienheureux lecteurs.
Pour en finir avec les à-cotés bizarres de cette histoire, on lit aussi qu’il est question d’une adaptation ciné avec Nicole Kidman dont on ne voit pas quel rôle elle pourrait jouer – même si elle semble vieillir à reculons – mais aussi Fanning qui, Elle, a, au moins, le bon profil.
Mais comment faire un long métrage avec une histoire qui doit surtout son charme à la brièveté de l’aventure, au basculement dans le même monde vu de l’autre côté d’un cercle, froid certes, mais sans la marque que l’esclave doit au réel dévoilé ?
Donc, pour une fois, soyons courts aussi : aborder n’est pas déborder, c’est juste une transition entre un avant et un après. Bref une Épiphanie, un éblouissement soudain, un moment pivot, un dévoilement : une apocalypse.
[ÉRIC FLUX]

Les premières pages sont à lire sur le site de l’éditeur Urban Comics.

 

PS/Le film

En définitive le réalisateur (ou Neil Gaiman) a trouvé une solution plutôt élégante, voire même mathématique. Au carrefour de Janus on ajoute une voie : les 2 directions sensées par les axes Filles/Garçon & Humains/Aliens sont augmentées par celle du Punk/Psyché.

Une évidence : il suffit de puiser dans la jeunesse de l’auteur, ado londonien au milieu des seventies pour utiliser l’émergence puis la mutation de la scène punk. Elle devient un prétexte jouissif de situations hilarantes pour qui a connu les paradoxes de ce mouvement radical s’opposant à celui tout aussi radical de groupes expérimentaux beaucoup plus arty ! Mais tous sans concession avec un seul impératif : la Liberté, contestatrice, virulente et provocatrice pour les uns, excentrique, élitiste et hermétique pour les autres. Bref c’est Johnny Rotten face à Brian Eno ! Pour nos héros, toujours garçons face aux filles, toujours humains face à des aliens il y a maintenant leur univers de fanzineux punkoïdes confrontés à ce qu’ils pensent être des américains, puis des californiens puis une secte californiennes. Elle Fanning est troublante, le héros troublé, et même Nicole Kidman crédible en pseudo gourou punk extrémiste au point de démolir les images de Malcolm Mc Laren et Vivianne Westwood. Et ça marche – hormis un court passage un peu trop pompeux et une déviation vers la transmission parent/enfant – finalement l’épiphanie, évoquée par l’album, explose visuellement. Neil Gaiman est transposé, même physiquement signant Miracleman et on ressent même, étrangement, planer la musique de sa femme Amanda Palmer, elle-même parfaite illustration du triple axe Femme Alien aux sonorités psycho punk (derrière le cabaret) !

2 réflexions sur “Comment aborder les filles en soirées

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