C’est miracle qu’il renaisse et c’est merveille que l’auteur fasse encore histoire de son effacement. car Alan Moore s’est retiré du générique de ses œuvres. Cela, déjà en tant que démarche insolite, crée une perturbation génératrice de sens dans la continuité éditoriale de ses récits. Continuité par ailleurs dispersée dans le monde du comics commercial dont les problèmes de droits sont autant riches d’informations que les histoires qu’ils vendent. Avec Miracleman revenant chez Marvel et ici Panini nous atteignons l’apex du processus. Un cas d’école, une référence, un exemple considéré comme le summum des embrouillaminis éditoriaux des 50 dernières années : une base fictionnelle moule de réalités sur plusieurs niveaux dont Alan Moore est à la source. Préquelle ultime, on peut même voir ici la source de ses sources. Alan Moore, sera le sujet volontairement retiré mais radicalement présent de cette résurrection. Le personnage, lui, revient de loin, son auteur n’étant pas présent à sa naissance où son patronyme n’était pas son nom. Les actes de sa création sont presque aussi incroyables que ses aventures et révèlent, en sortant de l’abime de sa gestation, l’image miraculeuse qui s’y est contemplée. Car Nietzsche aussi sera un des protagonistes de cette sur-humaine aventure formée de la glaise d’avidités bien humaines. Au commencement est donc le Sur-Homme. Moore cite Nietzsche dès le début. Une séquence d’introduction avec les personnages naïfs qu’il va métamorphoser puis, comme transition introductive à son premier épisode, une pleine page avec ces mots : «Behold i teach you the superman : he is this lightning, he is this madness !» Dans la parution originale de 1982, idem dans l’édition actuelle mais dans la version française qui nous intéresse maintenant : «Regardez je vous enseigne le surhomme : il écoute, il est folie!» Il écoute ? En effet c’est folie !
Des embrouilles généalogiques d’envergures cosmiques
Vérification effectuée auprès des traductions de référence en vrai papier : il est bien « cet éclair » qui nous permettra de fracasser de pauvres idoles avec de vrais marteaux bien concrets ! Mes outils : la version d’origine & la réédition actuelle, les deux en anglais, plus la version française dont les deux premiers tomes viennent de sortir chez Panini Comics et mon arme secrète : une parution oubliée de 1989 par Delcourt et donc en français. Nanti en plus de la colossale bio de Moore déjà évoquée en ces pages complétée d’un superbe article de Xavier Fournier dans ComicBox : on va bien s’amuser, le savoir issu de l’Homme du Miracle n’étant que gaieté ! D’abord il y eu le Sur-Homme, Superman qui avait des droits. Mais aussi des copies comme un certain Captain Marvel qui, à l’origine, répondait, mais pas seul, au nom de Captain Thunder. Donc, déjà, conflit et changement de nom pour celui de « Captain Marvel », c’était en février 1940 et que les prémices d’embrouilles généalogiques d’envergures cosmiques. « Captain Marvel »: rien à voir avec la «Maison des Idées» Marvel qui n’existait pas à l’époque et qui nous inonde maintenant de Super-Héros tant au ciné qu’à la télé est un Captain qui doit ses pouvoirs à un mot magique «Shazam» acronyme de Salomon, Hercule, Atlas, Zeus, Achille & Mercure et n’a lui non plus aucun rapport avec le « Captain Marvel » Kree que cette même maison créera des decennies plus tard. Celui-ci aura aussi des soucis lorsque l’autre maison , DC, la Distinguée Concurrence, voudra aussi protéger les droits du Marvel original qu’elle aura finalement acquis. Super puissance des avocats : le Kree à la conscience cosmique en mourra, d’un cancer, sur la Lune. Notre « Captain Marvel » original lui prolifère et se crée une famille aux US dans les année 1950. Dès le début DC attaque pour garantir la suprématie de son Superman. Ca prendra dix ans mais les procès auront non seulement raison de l’éditeur américain de Captain Marvel mais aussi de celui qui le publiait en Grande Bretagne. Celui-ci ne se laisse pas faire et demande au scénariste Mike Anglo de trouver une solution de remplacement. Ce sera Marvelman qui ne dira pas «Shazam» mais «Kimota» un verlan plus moderne pour l’ère Atomik !
Et c’est reparti : Marvelman se créant une Marvelman Family anglaise et les revenus qui vont avec. Ceux-ci se tarissant, fin de l’aventure en 1963. Fin des droits pour autant ? On pouvait le supposer, Alan Moore avec Garry Leach au dessin l’a cru quand on lui a proposé de reloader le héros de son enfance en 1983. «Mon plus grand rêve ce serait que quelqu’un relance Marvelman et que j’en soit le scénariste» disait-il, déjà, en 1981. Ce sera son premier vrai travail comme scénariste et, avant Watchmen, une relecture de personnages pré-existants. Pour cela il s’investit à fond, relit de vieux Superman, des classiques mythologiques et même le Odd John d’Olaf Stapledon (qu’une fois de plus je conseille très fortement comme auteur révolutionnairement anticipateur, le premier et le dernier de la SF !). Alors naît une histoire qui sera fondatrice non seulement des thèmes récurrents d’Alan Moore mais aussi, bien sûr, par rebond, de son influence sur la fiction globale de la fin du millénaire. Pour l’instant nous ne sommes que dans l’histoire de l’histoire avec l’Empire Marvel qui contre-attaque, l’éditeur anglais essayant de s’exporter outre Atlantique «À quoi bon posséder quoi que ce soit si vous ne pouvez pas vendre les droits auxiliaires» propose de changer le nom en Miracleman. Veto d’Alan Moore furieux contre Marvel «…ils étaient assez gros. Ils pouvaient nous garder au tribunal indéfiniment qu’ils aient raison ou tort. C’est de l’intimidation et je ne peux pas accepter ça. Je ne pourrais jamais travailler pour une société qui m’a fait ça». Au final il se retire mais permet l’utilisation du titre Miracleman «c’est difficile de conserver ses principes quand il y a d’autres gens dans le coup… Je ne veux pas que quiconque souffre par ma faute» Merci Alan!
Alan Moore s’efface et est capable de faire des tours à quiconque ne respecterait pas son anonymat
C’est ensuite que ça se corse, car ce n’était encore que broutilles ! Moore a écrit 21 épisodes mais, entre temps, commencé Watchmen qui se conclura avant la fin de Miracleman. Voyez un véhicule nommé « Owlcar » à la fin du tome un et rappelez vous du mode de transport du Hibou des Watchmen : Alan Moore travaillant simultanément sur les deux séries des détails déteignent. Ce sera Neil Gaiman qui prendra le relais «Écoute si tu veux tu as le tiers de la propriété de mon personnage» a proposé, dégouté, Alan à Neil tout en s’embrouillant avec Alan Davis au sujet du copyright d’un autre héros (Captain Britain, toujours chez Marvel!) qui du coup a «commis l’acte le plus gamin et destructeur de sa vie » en refusant que son travail sur Marvelman soit jamais réédité. Et enfin, coup de grâce, les droits initiaux n’étaient pas perdus par son créateur Mick Anglo dont la boite n’avais jamais fait faillite contrairement à ce qui avait été avancé. «On nous a menti depuis le départ. Si j’avais su ça à l’époque, je n’aurais jamais accepté ce travail» conclu Alan Moore définitif. «Je ne veux rien avoir à faire avec Marvel Comics ou Disney. Je renonce à toute somme d’argent, donne tout à Mick Anglo, je n’ai rien à voir avec ça». Il ne voulait déjà plus apparaître au générique d’adaptation de ses œuvres : Miracleman rejoint donc aux enfers La ligue des Aventuriers Extraordinaires, Watchmen, From Hell et autres V pour Vendetta. Lui s’efface et est capable de faire des tours à quiconque ne respecterait pas son anonymat, il est magicien maintenant après tout !
Mettons-le de coté, on le convoquera plus tard car pour le moment le fond et l’abime ne sont même pas encore entre-aperçus. En effet, malgré les interdits et blocages divers il y a pourtant un objet, un livre, une BD, bref un prétexte pour toutes ces phrases qui inondent vos yeux. Il a bien fallu que Miracleman revienne, finalement. Certes, mais ça a pris du temps et nombre de conjectures. Gaiman, Davis et même Todd McFarlane s’en sont mêlés. Ce dernier pensant avoir acquis les droits de Marvelman commençait déjà à le faire poser discrètement près de Spawn. Faute ! C’est Anglo qui a encore les droits, gaffe Todd, déjà que toi aussi tu as des affaires à régler avec Gaiman pour le partage de son « Angela » qui risque d’y laisser des plumes ! Bref SOS Marvel, la Maison des Billets rachète tout. Angela aussi aux dernières nouvelles, peut-être l’info la plus surprenante de tout ce multivers : l’ange de Spawn, que Moore a aussi scénarisé à un moment, va combattre au coté des Vengeurs donc de la Captain Marvel actuelle !
Comment va-t-on faire mousser l’historique de la chose sans Alan Moore ?
30 ans après, Marvelman est ré-édité avec moultes précautions. Neil Gaiman revient aux affaires, Alan Moore étant toujours plus retiré en une farouche retraite. Et là ça prend de la consistance. Ça devient même furieusement comique. Rapellons le cas Before Watchmen à lire plus en détail en ces pages : en hommage à l’auteur caché on pique ses personnages pour en voir les préquelles. Trahisons respectueuses à de multiples degrés on avait déjà bien rigolé. Maintenant nous avons une grosse maison toute pleine d’idées mais bardée d’impératifs juridiques qui doit concilier avidité et respect. Une bonne base pour une bonne blague. Car ça signifie une envie très commerciale de vendre le lot avec la promesse (terme devenu publicitaire) d’exhaustivité qui va avec. Donc enrobages, bonus, couvertures d’origines, crayonnés, croquis préliminaires, liste des auteurs, liste des auteurs ? Ah ben non il en manque un, faut bien respecter le droit de retrait du bougre. Mais alors comment va-t-on faire mousser l’historique de la chose sans lui ? Eh bien on ne peut pas ! Et là c’est hilarant de voir «Les coulisses» et «divers étapes de développement de cette fantastique série» sans que soit nul part mentionné son créateur. Il est question vaguement d’une «bande d’auteurs anglais» voire d’un «scénariste originel» mais pas plus. On veut bien respecter la lettre de refus mais pas l’esprit qui voudrait que l’histoire ne soit pas refaite. Un comble pour la référence du reload !
Finir le premier épisode d’une histoire de retour par «The beginning» c’est un classique ou un cliché, maintenant, à l’époque c’était peut être une première mais bien sur sans aucune dédicace. Celle-ci, apposée comme un tampon, n’est pas signée et par qui pourrait-elle l’être d’ailleurs ? Pas par les auteurs ! Les vendeurs alors ? Ou serait-ce un anonymat en hommage à l’apocryphe ? Mais que cache le retour de Miracleman, avatar de Marvelman, plagiat de Captain Marvel, copie de Superman et surhomme lui-même sinon la réflexion initiale d’Alan Moore sur le Super-Héros ? Avec une contrainte fertile : reprendre un héros existant mais disparu depuis vingt ans. La solution est simple et élégante : ne pas cacher le fait qu’il s’agisse d’un personnage mais au contraire en faire le ressort du récit. Marvelman revient pour surmonter l’illusion de ses aventures passées, il est le fil tendu entre la fiction et la réalité, le surhomme qui s’extrait de ses origines, embrasse son créateur avant de le jeter du haut des cieux. Réellement.
« Star light, Star bright… » Traduit par « Étoile brillante, étoile d’espoir… » D’espoir, vraiment ? Mais pour qui ? Pas pour le lecteur soucieux d’exactitude en tout cas. Sinon pour celui qui s’amuserait à détecter les fadeurs du texte. Ainsi… « A bloody stupid story » dit Liz à son mari devenu superhéros qui lui explique les origines de ses pouvoirs en utilisant sa mémoire c’est-à-dire la Bible des scénarios qu’il croit avoir vécu. « Ton histoire est insensé » est la traduction. Mon Delcourt du passé proposait mieux : « C’est un tel tissu de connerie » peut-être excessif mais plus dans le ton !
Plus grave, Dennis Archer, l’agent en chef du service qui supervise le projet Zarathoustra (Also sprach Alan Moore !) est décrit comme «le contrôleur du Spookshow» carrément omis dans la traduction,
C’est d’autant plus ballot que cette officine barbouzarde est très présente ensuite dans le récit. Mais sans la référence initiale on s’y perd un peu. D’autant plus que le traducteur nous propose d’abord «le cirque fantôme» qui devient quelques page plus tard «le cirque DU fantôme» sans aucune justification ni cohérence avec le texte original. On trouve un autre ratage affadissant le récit au début du tome 2. Miracleman croise un gamin qui s’exprime bizarrement sauf que ça ne s’entend pas en VF.
Plus étrange encore le choix de modification de la continuité avec des permutations surtout dans les flashbacks. La version française de Panini n’est plus en cause, ce sont les ré-éditeurs Marvel qui semblent avoir choisi d’utiliser, différement des publications originelles, certains épisodes. Ainsi un flashback qui n’apparait déjà pas à son emplacement originel «Miracle man family 1» est placé juste avant le Miracle man family 2 ce qui parait logique a priori mais n’était pas l’ordonnancement initial prévu par Alan Moore. Ce procédé rappelant fâcheusement celui de l’utilisation des histoires de pirates dans les pénibles Before Watchmen. Ca casse la séquence histoire/flashback en créant une autre mini-continuité avec en plus une page d’introduction introuvable dans l’original qui ne se justifie vraiment pas et brise artificiellement la narration (page fort étrange d’ailleurs, d’explications très artificielles, lourdement écrites, un peu comme ici, même en tenant compte de la traduction guindée) Aventurons nous encore plus dans le bizarre avec l’apparition d’un Dragon :
Il est assez beau, graphique et nanti d’une citation mais n’existe pas dans la version originale :
Ce n’est d’ailleurs pas la seule tentative pathétiquement poétique
Certes le second épisode s’intitule bien « Dragons » mais pourquoi ce rajout ? Difficile d’incriminer Marvel, quel intérêt sinon celui d’évoquer l’absent ? Et ce « Livre des changements » le Yi-King sans doute : pas besoin de lancer les baguettes pour parier sur son utilisation par Moore, mais le mystère de cette apparition éthérée demeure. Sinon vous avez aussi remarqué le petit plus du traducteur : le sang du Dragon « Black and Yellow » devient Noir et Vert. Je doute que ces couleurs correspondent vraiment au sens initial, non plus de l’actuel Moore mais cette fois-ci du multimillénaire Livre considéré parfois comme un de premiers de l’humanité. Cette audace pitoyable pour un ver piteux atteste surtout d’un désert spirituel. Ce n’est d’ailleurs pas la seule tentative pathétiquement poétique. Jadis, en 1989 avec le volume de Delcourt, un nommé « Big Ben » stupéfiait de drôlerie teintée de tragique. Un personnage haut en couleur, tout en clichés britishs, pastiche supervivant de légions de héros ne lésinant ni sur le costume kitch ni sur la déclamation surjouée. Bref une parodie typique de Moore. Sa signature : « Big Ben, The Man with no Time for Crime » Absolument fabuleux ! Traduit ici par « l’homme qui réprime le crime » Moi ça me déprime, cet hymne à la rime minime me mine ! Au moins le ridicule était fièrement conservé chez Delcourt « L’homme que le crime agace » : badass ! Par la suite l’utilisation d’un conditionnel foireux «Je découvrirait la faiblesse qui lui serait fatale» apocope un futur, en effet faiblard ! Celui de Marvelman aura été au contraire fertile. Il y a quelques années, lisant du Marvel, un personnage, surgit de nul part, paraissait pourtant familier. Un super-héros surpuissant mais pourtant oublié des stars du marvelverse. Son apparence, sa femme même, tout rappelait Marvelman. Comment ne pas tiquer à cette étrangeté qui faisait que le passé fictif du gus était calqué sur celui bien réel d’un autre héros, vraiment oublié. Ce « Sentry » avait à l’origine cette puissance fictive. Dans un sens Moore aurait pu le revendiquer comme sien. Comicbox m’a appris l’existence d’un équivalent chez DC avec un nommé Triumph « membre fondateur de la JLA mais que le monde entier a oublié ». Les liens avec Authority & Planetary sont aussi évidents, et bien sur Suprême où Alan Moore se réécrit lui même. Des personnages hors norme qui n’ont pas les limites des Superhéros classiques ni du Superman pourtant leur modèle originel, ce ne sont pas les bandits, ni même les super-vilains qui sont leurs vraies Nemesis mais bien le système global qu’ils transcendent de facto. Ce que fera Neil Gaiman de Miracleman qui, par la suite, accentuera même cet aspect divin. Marvelman est donc la source de Moore qui aura été celle de fictions essentielles de notre temps. Au point d’être lui même en avance sur son propre temps : l’auteur use précocement d’une narration pourtant réservée aux vieux brisquards. Biberonné à la SF, il baigne dans ce sur-genre, ce style hyper-réel, mais ce sera surtout plus tard dans sa carrière qu’il se lâchera à ce point. Lire certains passages situés hors de la sphère terrestre ou s’agite Marvelman c’est faire un bond de trente ans et trouver déjà l’Alan Moore narratif des séquelles de sa Ligue des Justiciers Extraordinaire : « Cold war, cold warrior » est un spin-of concentré en SF exigeante, inventive, généreuse, déstabilisante avec un scénario retors impeccable qui en quelques pages plante un multivers, déploie une trame, lance et résout une action avec retournement final tout en ciselant une langue largement inventée et pourtant limpide. Du Jodo avant la lettre, celui-ci ne sachant plus faire.
Pour les dessins Brian Bolland (The Killing Joke) et Dave Gibbons (The Watchmen) avait été pressentis mais Moore voulait plus de réalisme et a choisi Garry Leach dont le trait réellement impressionnant correspondait en effet parfaitement à l’univers à la fois très concret et pourtant radicalement extra-humain de l’Homme Miraculeux. Par la suite Alan Davis prendra le relais avec son graphisme plus clair mais toujours excellent et en harmonie avec l’avenir quasi-divin du héros. Garry Leach colle si bien au scénario d’Alan Moore que certains passages ne se lisent plus, c’est presque trop fluide, le texte se fond dans l’image et il faut relire pour ne pas gouter toute la saveur de la narration.
Alan Moore expérimente aussi des effets d’une efficacité redoutable. Ainsi le cliffhanger à la fin du chapitre VIII aura une réponse inouïe dès le début du chapitre suivant. On se demande si on a raté quelque chose tant les réponses surgissent radicalement au fil d’une suite d’actions implacables justifiées dans la continuité par à la fois un flashback immédiat et un dialogue de silhouettes en arrière plan. Génial, qualificatif banal pour Alan Moore mais seul ce mot convient vraiment pour ce que l’on vient de lire ! Des effets de vol semblent maintenant évidents, on les reproduit même en video avec drone et Go-Pro, mais en 1982 suivre les deux bras tendus d’un sur-être volant en explosant tout sur son passage, c’était inédit !
Ainsi que voir un accouchement. Mais vraiment le voir sans hors-champs ni fausse pudeur ni cadrage timide, juste dans la crudité d’un moment crucial, vital :
L’histoire est aussi celle de naissances, d’évolutions, de disparitions
Tellement inédit que ça l’ai resté et que sa revalorise Marvel d’avoir osé publier ça. L’histoire est aussi celle de naissances, d’évolutions, de disparitions. Avec des personnages qui ne restent pas secondaires. Ainsi Cream, à première vue un second couteau, mercenaire noir travaillant pour de douteuses officines mais qui gagne en richesse au fil du récit pour finalement révéler une personnalité étonnante. Au point qu’il est impossible de ne pas y voir un antécédant de « La Crème » traduction assez bienvenue pour Mother’s Milk en VO, black impressionnant mais qui ne se limite pas non plus à ces clichés racistes dans The Boys. Série récente et scandaleuse de Gath Ennis dont il faudra bien parler plus en détail ici. Les penchants politiques progressifs d’Alan Moore ont toujours été explicites. Et souvent même révoltants d’un point de vue conservateur. Alors vue l’époque à laquelle Marvelman a été conçu ce genre de réplique est un minimum : « Ce que cette saleté de bonne femme a fait à notre système de santé me fait bouillir les sangs« . Miss Maggie n’ayant pourtant été qu’une anticipatrice de l’anarchie libérale maintenant omnipotente Moore doit réserver ses pires sorts à ses suivants ! L’attention qu’il porte à ses personnages est à hauteur d’homme, même lorsqu’ils volent. Mike Moran n’est pas toujours Marvelman, lui a du ventre, des migraines, du chômage : «Je me sens perdu, beaucoup de gens sont comme moi» alors que l’autre, le miracle vivant, «ses sentiments sont si purs, quand il t’aime c’est fabuleux! Son amour est si fort, franc et propre…». Tellement parfait qu’il figurerait idéalement l’image du sur-homme nazi. Alan Moore n’évite pas non plus cette vision tellement évidente aux yeux de fanatiques raciaux. Sa réponse est là aussi radicale :
Enfin rien n’apparait vraiment sans raison chez Alan Moore. User d' »Abraxas » comme mot de conditionnement transitionnel est déjà savoureux, mais faire de « Steppenwolfe » un code de transformation c’est purement jouissif. « Steppenwolf » ne fait bien sur pas référence au rock canadien « Born to be wild » mais à l’origine du nom : Le loup des steppes roman d’Herman Hesse avec son héros aux deux faces évoluant vers une métamorphose initiatique. « Il est si fort, ça en est ridicule » :
Eliminez l’impossible ce qui reste, même improbable, est la vérité
Liz parle de son mari et de ses nouveaux pouvoirs. Je pense que ça s’applique aussi à Alan Moore. Le ridicule étant celui de ceux qui ne plongent pas dans ses profondeurs. Cette scène, en 1982 (1989 pour Delcourt et moi), était marquante. Pour une fois un auteur ne se contentait pas d’explications fumeuses pour justifier l’extraordinaire. Mieux il s’en moquait tout en suggérant des origines plus logiques. Pas moins merveilleuses mais plus rationnelles, dans un sens que Sherlock Holmes approuverait : éliminez l’impossible ce qui reste, même improbable, est la vérité. Même si ce qui reste ressemble à de la Magie. Ça semble évident pour Alan Moore, comme une première fois, « maybe it’s all in your mind, the power« . L’interprétation naïve et triviale parlerait de fantasme, d’illusion, s’élèverait peut-être jusqu’à Tchouang-Tseu et ses rêves de papillon mais ça ne resterait qu’une parabole. Procédé surestimé qui n’est souvent juste qu’un faux fuyant scénaristique. Alan Moore n’a pas ce genre d’hypocrisie, même si ensuite il justifie autrement les pouvoirs de son héros, on peut voir ici la naissance de Promethea. De la fiction s’imposant à la réalité. Il montre un scientifique dément, usant de « scénarios enfantins mais efficaces » pour conditionner sa créature sur-humaine avec « l’identité factice d’un personnage de bandes dessinées pour enfants« . L’honnêteté d’Alan Moore par rapport à son récit n’est pas de s’en moquer mais d’en utiliser tous les ressorts, les plus crédibles possibles, donc la réalité fictive du personnage est son vrai pouvoir. Même dans le cadre d’une fiction le réel l’emporte, c’est aussi un enseignement pour le lecteur maniaque de cette histoire. La traduction, les arrangements avec la continuité, les diverses étrangetés relevées ne sont au final que des détails en regard de l’évidence : la parution de cette histoire essentielle. Mieux même, si l’ont adhère au point de vue d’Alan Moore qui refuse tout compromis avec ceux qui l’ont plusieurs fois trahis on doit nous aussi refuser tout aveuglement vis-à-vis de la réalité. Il a crée ce Marvelman, c’est un fait, c’est réel, même lui ne peut nous interdire de le savoir, les problèmes juridiques des éditeurs ne sont pas nôtres, alors puisque cette publication est miraculeuse une ultime trahison d’Alan Moore est là salvatrice, si Marvel est une maison dépitée, EO ne saurait l’être et revendique ce manquement à la volonté du maître : Alan Moore est dans notre générique !
[ÉRIC FLUX]
2 réflexions sur “Miracleman, ever Moore !”