
Prologue
Fables de Bill Willingham c’est la rencontre de Blanche Neige et du Grand Méchant Loup, de Pinocchio et du Chaperon Rouge, d’Aladin et de Cendrillon, du Pays d’Oz et du Livre de la Jungle, d’Éole et de la Reine des Neige, de Jack et du Créateur, c’est l’impossible crossover des fictions légendaires.
Bref, c’est du sérieux, ça mérite un prologue : « Ça commence avec la religion, je pense, le mystère, les choses qui ne doivent pas être dites. Puis les choses évoluent et se transforment en légendes (« into myths » en vo) et mille ans plus tard, l’histoire de Cupidon et Psyché devient « La Belle & la Bête ». La mythologie est quelque chose de fascinant parce que c’est grâce à elle que nous transmettons les grandes histoires, vraiment importantes, que nous ne pouvons nous permettre d’oublier ou de perdre. Elles deviennent nos légendes. » Neil Gaiman (interviewé sur NoLife) n’a rien à voir avec Fables mais son Sandman participe du même principe : dénaturer des fictions sacrées pour en faire des histoires sérielles. Car prendre de l’archétypal, des trames travaillant l’inconscient collectif – si tant est qu’une telle chose existe – ou des bases fictionnelles multi-millénaires pour en faire un comic monstre c’est un procédé sacrément désacralisateur ! D’autant plus qu’il devient lui-même source de moult plagiats et finalement origine d’un Fableverse qui dépasse ses volumes spécifiques en envahissant à peu près tous les supports de fictions modernes, cinéma, séries, jeux, tout est touché !
Seul Alan Moore après Philip K. Dick avait à ce point influencé l’imaginaire contemporain. Donc, oui, Fables c’est du sérieux ! Alors, pas le choix, Neil Gaiman, bien que justement inspiré, étant flou dans sa terminologie définissons clairement de quoi il est question.
Fables, Contes, Mythes & Légendes
Fables : Paraboles parodiants des personnages réels dans des incarnations souvent animalières de façon à en tirer une morale pouvant être dangereuse pour l’auteur s’il citait nommément les personnes réelles. Procédé utilisé, entre autres, par Esope ou La Fontaine. Exemple Les animaux malades de la peste dont une transposition moderne serait bienvenue.
Contes : Ce qui se raconte, traditionnellement le soir à la veillée des temps jadis. Histoires mettant en scène des personnages souvent archétypaux réels (la mère, belle, régulièrement, le roi, le loup, le nain, etc) ou imaginaires (l’ogre, le dragon ou son frère le djinn, le gnome, etc…) mais clairement implantés dans un environnement trivial propice à une identification facile pour l’auditeur au coin du feu. Leurs auteurs modernes sont des adaptateurs (Perrault, Nasrudin, Tchouang Tseu, etc) perpétuants des récits dont les origines sont probablement antérieurs aux panthéons classiques. Et dont les finalités sont maintenant perdues dans les détails résistants aux multiples adaptations. Il est cependant assez évident que celles-ci concernaient les préoccupations essentielles de ces temps païens : cycles naturels, reproduction de la tribu, plantages de graines, des soucis calendaires sous-jacent, souvent. Exemple de détails sous compris : la lampe d’Aladin dont le frottement pourrait être traité par Bachelard dans sa Psychanalyse du Feu, s’il s’était intéressé à la naissance des Dragons.
Mythes : Postérieurs aux contes originaux, ils les structurent au gré des besoins sociaux et religieux – donc politiques et superstitieux – de populations sédentarisées et alphabétisées. Ou au moins sachant graver sur du papyrus, du cuir ou de l’argile des signes formalisant des forces qui les dépassent mais dont la maîtrise serait bien utile pour asseoir des pouvoirs bien humains. Exemple : un patriarcat triomphant se trouve assuré par l’Hécatombe de mythes thesalliens où la sorcière Metissée renaît du crane du père Zeus pour devenir Athéna à lui et à jamais soumise. Mais la chouette chouette chevêche sur son épaule, prédateur nocturne et charognard, signe l’origine du conte transformé par le mythe. Un détail bizarrement mal compris dans trop de fictions modernes comme, au hasard des scénaristes charognards eux aussi, Les chevaliers du Zodiac exemple notable de tout ce que Fables n’a pas à avoir honte.
Légendes : C’est-à-dire «c’est à lire» car mettant en évidence des gestes ou personnages remarquables souvent rencontrés dans les catégories ci-dessus évoquées. On pourrait les qualifier de spin-off de ces sagas. Un personnage imaginaire fabuleux est d’autorité une légende mais cette malédiction peut aussi tomber sur une vraie personne dégénérant en vil personnage. Cette catégorie est donc la seule qui puisse s’appliquer à des humains ou situations plus ou moins actuels. Exemple : Arthur Pendragon, personnage semi-imaginaire issu de querelles tribales pour être mis en avant comme catalyseur de pulsions christianisantes mais sans le faire «ascensionner» au ciel, sa tombe étant bien montrée à Glastonbury. Manière habile de le garder dans la légende sans en faire un demi-dieu dont le culte concurrencerait «l’autre» pouvant revenir puisque sans tombe et donc mythique. La même légende semi-christique pouvant aussi s’appliquer à Robin des Bois surtout si l’on transperçait son cœur de Rouge Gorge d’une épine d’Aubépine au beau mois de mai. Le thème du sacrifice étant essentiel dans toute légende, Bill Willingham en a fait le cœur de ses Fables.
Qui n’en serait donc pas, des fables, mais plutôt un mélange assez génial de mythes et de contes plus ou moins sacrés ou profanes, antiques ou modernes, reliés par un savoir scénaristique réellement impressionnant. Et une cohérence thématique vraiment profonde. Mais il faut creuser, déblayer des terres parfois fertiles parfois stériles pour mettre à jour un trésor dont la magie soit réelle.
Willingham, Buckingham, Leialoha & Jean
Le créateur, scénariste, maître d’œuvre, dieu du Fableverse c’est Bill Willingham récipiendaire du légendaire (notez ce terme) prix Eisner dès le premier tome en 2003 et collectionneur de ce même trophée jusqu’à son terme en 2015, 7 Eisner en tout, pour une même œuvre ça pourrait être un record mais en valeur absolu Alan Moore puis Chris Ware sont encore loin devant. Pourtant Willingham les égale au moins graphiquement . D’abord grâce aux dessins de Mark Buckingham, artiste principal de la série, qui assure une magnifique cohérence visuelle à l’ensemble. Ensuite avec l’apport d’une légion d’artistes talentueux parmi lesquels Neil Adams, Gene Ha, Lan Medina, Jae Lee, Terry Moore, ou le couple Allred (qui font des miracles sur le Silver Surfer en ce moment) dont la liste a été omise dans le dernier tome français de la série, pourtant superbement éditée, au demeurant. Enfin de l’encrage de Steve Leialoha (entre autres) aux couvertures de James Jean tout est parfait. Ce dernier signant d’ailleurs une œuvre dans l’œuvre justement honorée par la publication d’un volume consacrées à ses couvertures. Un hommage de Vertigo, l’éditeur US chez DC, jadis aussi accordé aux covers de Dave Mac Kean pour le Sandman de Neil Gaiman, une des seules créations vraiment comparables à Fables dans l’univers des comics. Avec aussi l’inévitable Alan Moore et sa Ligue des Aventuriers Extraordinaires comme antécédent en tant que mixeur de personnages fictifs légendaires.
Sinon pour trouver des précurseurs à ce mix de mythes il faudrait plonger dans la SF et remonter à 1973 avec le génial Toi l’immortel, de Zelazny mettant en scène un dieu Pan actualisé, continuer avec une bonne part de l’œuvre pléthorique de Robert Silverberg (surtout son Gilgamesh) pour arriver au summum : Ilium, et Olympios, en 2003 : qui mêlait Ulysse, Zeus, Prospero et Ada, oui celle de Nabokov, sacrilège incroyable mais réussi par le génial Dan Simmons seul capable de comprendre en quoi les Titans puissent être des IA shakespeariennes. Enfin impossible de ne pas citer Ann Rice qui dès 1983 délaissait Lestat pour raconter Les infortunes de la Belle au Bois Dormant une transposition érotique du conte, bien plus cohérente et donc excitante et que n’importe quelle nuance grisâtre.
Fables est clairement un comics
Quant au style, avec ses scenarii retors, riches en cliffhangers, teasant à tout va, cachant des personnages en inversant d’autres dans des cycles créant une continuité sous-jacente aux one-shots qui ne s’affranchissent jamais vraiment des arcs en cours, poursuivis dans des spin-off réuni par un crossover, dans sa forme narrative donc Fables est clairement un comics. Et même un comics de super-héros. Bill Willingham joue souvent sur cette ambigüité allant jusqu’à faire un épisode Super Team où Ozma la jeune et jolie sorcière d’Oz s’associe à Pinocchio, grand spécialiste des comics de super-héros pour tenter de monter une équipe de Super Fables. Donc attention pas de spoilers, mais je vais devoir marcher sur des œufs, des dragons cracheurs de scoops innommables pourraient en sortir pour gâcher votre plaisir futur. Ça le ferait trop pas !
Mais enfin qui a tué Rose Rouge ? Et qui est Rose Rouge ? La sœur de Blanche Neige ??? En fait c’est la sœur jumelle de Blanche Rose dans un conte de Grimm où il est question d’un ours qui se métamorphose en prince et d’un « Nain Ingrat » (autre titre du conte) qui insulte trois fois les petites qui l’ont pourtant aidé et la quatrième fois l’ours le tue. C’est en laissant tomber sa fourrure que l’ours révèle sa vraie nature de Prince. Manifestement, comme souvent dans les contes, il s’agit d’une métaphore lié au calendrier, saisonnière ici, l’ours étant traditionnellement une image du soleil qui hiverne pour renaître au printemps. Les deux sœurs sont décrites comme ses amies rabrouées par le nain. Si on lit des résumés du conte, les critiques du net insistent plus sur leurs différences de caractères supposées. Pourtant je n’ai trouvé aucune ligne dans aucune version où celles-ci soient vraiment soulignées (Blanche est plus casanière, Rouge plus enhardie, c’est tout) alors que le symbolisme transparent du récit, finalité du conte tout de même, est le plus souvent carrément omis. De même Willingham base son histoire sur cet antagonisme sororal imaginaire tout en confondant aussi la Blanche Neige avec la Rose Blanche (en allemand ce sont deux noms différents, assez semblables mais n’ayant pas le même sens) mais est-ce vraiment important ?
Il encore trop tôt pour donner une morale à cette Fable qui va prendre des allures de Saga. D’autant plus que la promesse, prudemment énoncée vers la fin de son long récit, est formulée ainsi : «ça te dirait que quelqu’un te donne des informations utiles… sans foutaises nébuleuses, ni ambigüité. De l’entrée au dessert, que des réponses.» Ah ben oui alors !!!Enfin un scénariste responsable qui ne se contente pas d’un hook accrocheur pour nous attirer dans un pays imaginaire ! Ça nous changerait des Cylons qui avaient un plan puis non finalement, des disparus aux histoires totalement Lost, des trop nombreuses séries de SF qui ne traitent que de soucis psychologicos familiaux, des Guerres Secrètes qui font tables rases de tout un univers pour mieux le retrouver sinon inchangé du moins aggravé, bref une histoire globale avec un thème original qui n’est pas qu’un vulgaire plagiat de la réalité immédiate. Le rêve !
Quelques planches originales de Fables
Des mondes différents dans un seul univers cohérent
Et, en effet, Willingham est sincère et honnête dans sa structuration onirique. Les Fables sont des personnages immigrés de leur royaume fabuleux et implantés dans un quartier caché de New York. Mieux il ne s’agit pas d’une parabole sur l’immigration mais bien d’une vraie thématique de Fiction. L’immigration étant bien sûr au-delà de la fiction, et relève en fait de la fable citée en exemple au début de ce texte. Mieux après avoir introduit des « Fables » bien humaines d’apparences et bien connues de nos contes très vite l’auteur nous présente des personnages beaucoup moins semblables à nous. Le repère new-yorkais des « Fables » n’est pas le seul site à avoir recueilli les bestioles fabuleuses « La Ferme des animaux » plus en campagne mais bien planquée aussi, abrite les moins présentables de ces exilés : une vrai basse cour qui parle jusqu’à une tête de cochon plantée sur un piquet qui a beaucoup de chose à dire. Des fleurs, des objets même, tout ce qui a pu être personnifié dans un conte à droit à sa place dans cette ferme.
Plus tard apparaîtront des êtres encore plus étonnants, du Dieu des vents à la Reine des Neiges, du Père Noël à l’Espoir, Willingham ne se refuse rien tant que c’est libre de droit et fabuleux. C’est sa force cette capacité à intégrer des mondes différents dans un seul univers cohérent. Pour cela il lui faut une histoire à la base très forte.
D’abord Blanche Neige, ou Blanche, plus simplement, qui apporte sa force et sa détermination, Fables se structurant pour une bonne part autour d’elle. La continuité est enrichie de conflits divers dont deux sont essentiels et qui couvrent la quasi-intégralité des 125 épisodes mais la continuité qui permet le développement de ces histoires se trouve en fait dans l’espace entre Blanche et sa sœur Rose. Avec un pivot monstrueux, le loup, grand et méchant mais consort de Blanche. Bigby de son petit nom est transfiguré par son amour mais avec un romantisme explicite, érotique, Fables n’est pas du tout une série pour enfants.
Sur ces trois là repose la base narrative de Fables. Et elle est solide, l’auteur n’édulcore en rien l’horreur fondamentale du loup, même s’il en fait le shérif de la communauté il lui invente une origine très crédible, la fadeur de Blanche est métamorphosée en une dureté maternelle éclatante de force. Et l’anarchique Rose aura une destinée faite de chaos superbement maitrisés. à côté le roi est falot et le Prince Charmant un bellâtre prétentieux potentiellement dangereux. La Belle, la Bête, Barbe Bleu, Cendrillon, Pinocchio, Boucle d’Or, Eglantine la Belle au Bois Dormant et des dizaines d’autres sont bien là, tous à leur place mais pas souvent celle que l’on croit. L’auteur s’amusant à inverser les rôles. Et c’est jouissif même si ça peut être gore avec Boucle d’Or (mais pas à l’encontre des ours), surprenant avec le Chaperon Rouge apparaissant comme traitresse mais par tromperie (rassurez vous, vous n’avez pas vraiment compris, pas de spoil ici) Totenkinder, littéralement tueuse d’enfant n’a cette fois rien à faire d’Hensel (un général félon) mais est une sorcière du bon côté de la farce sans rien perdre de son aspect maléfique.
Les histoires se déroulent dans un Univers incroyablement étendu mais pourtant fermé aux yeux des communs, vous autres les humains normaux, Fables ne s’intéresse pas aux rapports entre eux et ceux qui sont portant bien décris comme leur création : Willingham est vite intrigant sur ce thème puisqu’il affirme clairement qu’un « Fable » ne peut mourir tant que les mortels croient en lui, idée furieusement passionnante mais bizarrement traitée, pour le moment citons comment Barbe Bleu et Bigby traitent un commun trop curieux, une exception qui a cru déceler leur existence : «si jamais vous êtes tenté de vous apitoyer sur votre sort, souvenez vous que vous avez contribuez à créer cette société… Bienvenu dans un monde perverti par les médias pauvre con… Vous caftez, nous aussi, c’est aussi simple que ça» Une morale rude mais tout à fait à sa place dans cette fable. L’incursion des communs dans le récit restera minime dans le cours de l’histoire mais Willingham est un commun malgré tout, ses lecteurs aussi, et ce thème devra avoir sa morale ! Pour vous appâter car vous devrez vous aussi créer l’existence de ses fictions, y croire, les comprendre plutôt, donc lire ceci pour qu’elles vivent, il va falloir compter sur l’ambiguïté. Prêcher le rêve pour affirmer le réel.

Un univers de cycles
Fables présente donc des cycles. – à l’origine, base de quelques préquelles, le passages des Royaumes vers le Monde des Communs mais aussi, parfois, l’inverse. – La Saga essentielle : la lutte contre l’Adversaire qui les a fait fuir des Royaumes. La révélation de l’identité longtemps cachée de ce monstre est une vraie surprise teintée d’évidence retrospective. Elle réussi à éclairer bizarrement le livre réel, devenu légendaire bien que quasi contemporain, des pages duquel il est issu. – Entre temps il y aussi un suspens superbement entretenu en plantant au fil des épisodes des soldats de bois dont les racines seront leurs finalités.
– Un personnage récurrent, agaçant et charmeur : Jack qui fuira vite la série principale vers son propre spin-off avant de revenir en un crossover apocalyptique.
– Une meute d’enfants aux destins extraordinaires : même dans ce cadre fabuleux, ces petits ont des rôles digne des plus grandes tragédies. Rien que pour eux Fables doit être vu.
– Gobe Mouche : un petit crapaud couronné.
– Boy Blue : issu d’une simple comptine enfantine mais pivot d’un cycle essentiel.
– Mister Dark : très sombre, un vrai cauchemar qui réveille la trame du rêve.
– Camelot : féminisé et avec une table infinie ça pourrait éviter l’infidélité au conte.
À coté de ces grandes histoires des petits personnages importants jouent des rôles qui dépassent souvent leur nature : un singe ailé évadé d’Oz, la tête du monstre de Frankenstein, trois souris aveugles (Three blind mice issues d’une petite comptine anglaise), un blaireau révolutionnaire puis illuminé, un corbeau dragon et une minette noire, rôdeuse invisible et sorcière ninja.
Et nombre d’autres. Ce qui peut commencer à soulever des soucis. La principale source de ceux-ci étant la confusion entre de vrais mythes ou contes et l’incursion de mondes fictifs contemporains. Même si, comme le disait Neil Gaiman on peut trouver derrière la Belle et la Bête (dont la version la plus connu date de 1757) l’image classique de Cupidon et Psyché (Apulée, deuxième siècle, ce qui est encore récent pour un conte) quid des Mowgli, Oz, Pinocchio etc… Tous issus de récits récents et profanes. Pinocchio n’est pas le Golem et même si sa baleine rappelle Jonas le thème n’est pas le même, Oz n’est pas le Jardin des Hespérides et Le Livre de la Jungle est surtout une histoire pour l’édification des scouts. Ce sont des apparences de fables sous forme de romans picaresques mais sans lien réels avec des mythes multi-millénaires. Faudrait-il alors voir dans Fables un exemple de la confusion fabuleuse qui colonise les esprits et l’imaginaire contemporain ? Pourraient-on dire que Fables participe et même crée la perte de sens originel des mythes dont il s’inspire. Ce ne sont pas vraiment des fables, les contes sont dénaturés, les mythes ignorés, les légendes surévaluées. Pire dans son cas il inspire un vrai tsunami de fictions récentes plutôt indignes.
La timeline de quelques personnages et contes de Fables (cliquez sur l’image pour accéder)
ou sur le lien suivant : http://www.urban-comics.com/il-etait-une-fable/
La perte de sens originel des mythes
Passons sur la série Grimm assez pitoyable pour voir le cas Once upon a time, vrai plagiat pour lequel Willingham a manifesté une indulgence qu’on pourrait qualifier de coupable si elle n’était pas, en fait, un signe de maturité de sa part. Cette série est apparue alors qu’il était question d’une adaptation de Fables, elle lui pique ses codes et personnages, au-delà de références par tous partagées c’est clairement l’œuvre du bon Bill qui est pompée. Et dont la désacralisation même est dénaturée. On est dans le second degré de la dévalorisation des thèmes censés être éternels : cette série est un cas d’école !
Mais il y a pire : Disney. Déjà initiateur historique de désastreuses désacralisations de personnages classiques. Belles, voire même parfois remarquables transpositions formelles, la boite de l’oncle Walt est responsable, tout de même, d’horreurs conceptuelles quand ce ne sont pas de vraies trahisons spirituelles. évitons les exemples trop faciles, les affadissements de contes à l’horreur manifeste et nécessaire, les américanisations bourgeoises de personnages plus radicaux, l’exaltation de la royauté héréditaire mais citons au moins le Bossu de Notre Dame, pauvre Victor Hugo, tout l’inverse de ce qu’il voulait dire !
Et maintenant on arrive à une accélération du processus. Non content de s’auto-pomper en transposant en réel ses dessins animés, gommant encore plus toute trace de sens originel, Disney passe au dernier degrés du plagiat en annonçant le rapt de Rose Rouge. Totalement ignorée dans ses films pourtant déjà très loin des contes, il est évident que le succès de Fables seul œuvre récente ayant ressuscité le personnage soit la source de cette idée inqualifiable. Du Nain Ingrat nulle trace, mais des sept nains oui ! Car le public connait leur noms, qu’ils n’ont jamais eu dans aucun contes par ailleurs ! Ils sont des stéréotypes, des perversions d’archétypes donc.
Menaçante aussi, une suite de Blanche Neige et le Chasseur, sauf que le prince n’a pas marché donc out ! On ne garde que le chasseur qui n’avait qu’un rôle mineur dans le conte, en revanche La Reine des Neiges s’étant imposée sur le devant de la scène on l’intègre directement dans l’histoire. Sous un nom à peine déguisée elle sera à l’affiche avec Blanche. Exploitée, rançonnée, elle ne contera plus jamais ! Ce qu’elle était aussi dans Fables. Mais pas pour ces raisons pécuniaires. Willingham conserve, utilise, exploite les noms originels car il joue vraiment avec leurs sens, les autres ne gardent que des marques, des étiquettes reconnaissables par un public qui se moque de son propre intérêt à connaître ce qui motive son inconscient profond pour ne vouloir qu’une distraction capable de l’en éloigner encore plus. C’est plus confortable, même si c’est spirituellement suicidaire ! Cette exploitations des noms, et non des thèmes donc, est visible à peu prêt partout dans les univers fictionnels modernes.
Amusons nous avec certains jeux vidéos où le dogmatisme semble être un impératif catégorique : les sorts, les quêtes, les objets magiques, tous ces machins immédiatement identifiables non plus aucuns sens réel ce sont juste des mots associés à des images. Un comble pour la magie qui consiste au contraire à intégrer en sa conscience des formules complexes qui vous transforment. Pour ces petits joueurs, un sorcier ça ressemble à un truc bien précis, un dieu c’est bien visible, un monstre c’est un boss, les ogres, fées, trolls, elfes sont tous des créatures avec des compétences diverses mais plus aucune vérité profonde. Et s’agit pas de toucher à ça : on est arrivé à une fanatisation de thèmes pervertis inconsciemment intégrés et farouchement défendus comme si ça existait depuis plus de quelques dizaines d’années. Le dogmatisme du RPG semble le summum du conservatisme !

Défaitisme culturel
Fables contribue tout de même un peu à tout ce défaitisme culturel. Allez dire aux générations modernes qu’une fée est l’incarnation du destin (Faeri = Fatum) que ces belle personnes sont les descendantes des trois sorcières illustrées (récemment donc) par Shakespeare. Ce sera vous le fou. Naissance, Mariage, Mort, sont devenus la petite Fée Clochette, la Reine des Fée ou la Fée divine, mortelle de la mort qui tue mais faut pas le dire. Ne parlez pas de la Dame Blanche, encore moins de la Reine de la même couleur vous feriez peur, ça fait pas rêver tout ça. Ne dites pas que comme elles les Elfes sont des personnages très récents, n’existant pas comme ils se les représentent dans les contes classiques : le dogmatisme actuel n’est pas vécu comme tel, donc ça doit pas en être ! Et puis, bien sur, tout le monde sait que les Fées c’est bien ça et que les Elfes c’est comme ça aussi. Mais ne demandez pas depuis quand tout le monde le sait. ça choquerait.
Alors Fables dans tout ça, responsable, complice, innocent ? En fait la vraie question que pose le conte originel, d’où part Willingham, c’est pourquoi deux sœurs ? Une fillette suffirait comme épouse au soleil, sa jumelle épousant le frère du roi surgit subitement à la fin du conte comme pour justifier une fin aussi heureuse pour Rose. L’antagonisme attendu inconsciemment dans une fiction moderne n’existant pas à l’origine puisqu’il s’agit d’une métaphore solaire lié à la transition des saisons ne faudrait-il pas voir dans les deux sœurs un Janus féminin, une même pièce à deux faces indiquant un passage, comme le faisait ce dieu romain des carrefours ? Mais qui le saura maintenant que le sens originel est effacé et affadi par l’interprétation des comédies modernes ? Pas Disney avec sa version ciné de Rose Rouge, où les sept nains n’ont bien sûr pas de signification calendaire, où les différents signes de passage, naissance, puberté, mariage, sont ignorés au profit de ces sempiternelles platitudes familiales : dans une fratrie on doit s’opposer, dans une famille on doit s’aimer à travers des conflits qui tiennent plus du caprice que de l’émancipation. Ce sont les nouveaux dogmes, bien superficiels où, surtout, le fond n’est pas effacé mais nié dans son essence et remplacé par une forme vide de sens, une évidence, créant ainsi une finale et unique signification fondamentale : la forme est le seul fond possible. La forme qui est légion par son existence et uniquement nulle en son essence.
Une morale radicalement révolutionnaire
Mais Willingham est plus malin que ça. Ces réticences, il semble les avoir anticipées, et les plagiats contrés : « C’est très en vogue à la télé, ces temps-ci on s’amuse tous à jouer au bon vieux temps » persifle une ordure figurant une sorte de boss de fin pour Fables. Une ironie assez cruelle non ? Il connait aussi l’influence des fictions sur la vie réelle : « Les flics américains tirent leurs talents de communication des séries télé policières. Désinvolture et mépris sont de l’érudition pour eux » dit la petite sorcière. Et surtout il comprend la logique des contes, leur puissance comme mantra : « Il y a de la force dans la répétition, même si ça n’a pas marché la première fois,le rituel a été établi » Et son objectif parait beaucoup plus élevé qu’une simple lecture le supposerait. Je ne suis pas certain qu’il l’ai fait délibérément mais si il y a une morale à ces Fables elle serait radicalement révolutionnaire.
Avant patientez, il faut passer par un sacrifice. Au Pays des Jouets : « L’histoire varie un peu, d’un conteur à l’autre, mais il est toujours question d’un roi mutilé, d’un chien aveugle à ses côtés, d’une coupe et d’une épée, et d’un chaudron magique » et quand vous relirez cette phrase dans le texte, si vous avez un rien de compassion, vous pleurerez je vous le promet car « la magie ancienne exige beaucoup de sang » et la scène est réellement traumatisante.
En l’occurrence celle d’un roi pécheur illustré aussi par Terry Gilliam mais à l’origine rescapé éclopé d’un Camelot détruit et veillant sur un Graal sanglant. Cette histoire Willingham la décline plusieurs fois avant d’en venir à l’essentiel, rien que pour elle Fables doit être lu. Et c’est lui qui parle par la bouche d’une enfant : « Je suis la reine du Pays des jouets, je contrôle les nombreux pouvoirs de la grande illusion«
Plus radical encore, il tort le cou de l’Espoir, littéralement cette grande illusion est gobée par une héroïne qui la qualifie de « Sainte patronne des arnaqueurs » car elle, elle ne bluffe pas et ne promet rien à qui ne le mérite pas. Au contraire des enfants « qui surpassent leurs parents, c’est un thème qui revient souvent » dit l’un d’eux tout en montrant qu’il pourrait dévorer le monde où se tient son père. Alors fier de lui, digne fils du monstre qu’il est mais « le destin n’est pas inéluctable » dit celui-ci à une autre de ses enfants, une potentielle déesse qui décidera plus tard de répandre Noël sur tous les mondes alors qu’elle craint pour elle une destinée de divinité cruelle.
Meta et prise à partie du lecteur
Enfin, le thème qui sous-tend tout Fables est aussi envahissant actuellement dans tout l’univers fictif : le Meta ou fracassement du quatrième mur ou prise à partie du lecteur. Les « Fables » se connaissent comme tel, ils savent qu’ils sont des êtres de fiction pour les communs : « Peut-être que notre popularité auprès des Communs fait notre force… Et si ce n’était pas un monde commun ?… c’est un monde de conteurs. Ils racontent des histoires sur nous comme nulle part ailleurs… Est-ce nous qui avons créé ces contes et leurs auteurs ? Ou les contes nous ont-ils crées ? » Et qui parle ? Un personnage de fable, un conteur, un commun ? Willingham ? Willingham ! Jack lui se casse de sa propre « stupide histoire.Vous pouvez vous la carrer où je pense. Je retourne dans le vrai livre des Fables. Là où je suis vraiment chez moi ! Et j’emmène mon dessinateur favori !«
Meta donc ! Comme Deadpool qui lui va jusqu’à tuer ses scénaristes après avoir décimé les fictions originelles dont sont inspirés ses copains Super-Heros : exemple il tue Pinocchio et la Vision disparait ! Autre petit exemple avec le Secret War de Marvel, Angela (cf EO sur Miracleman, il est encore question de Gaiman) dans 1692 un reboot limité de la série originale très étonnante, citant intelligemment Shakespeare dans des histoire vraiment subtiles aux dessins aussi surprenants, la petite amie de l’Héroïne lui reproche gentiment de casser le quatrième mur alors que c’est son rôle dans l’histoire. Ce qui est une interpellation du lecteur au carré !
Willingham s’inscrit donc dans cette tendance, difficile de se prononcer quant à l’antériorité de la chose, c’est très présent actuellement mais je me souviens d’un vieux personnage d’Alpha Flight qui savait qu’il était une fiction. Shakespeare interpellait aussi ses spectateurs, le théâtre antique faisait quasiment de même, nous sommes donc dans un thème classique qui revient. Mais l’autre Bill est lui encore plus direct puisqu’en campant des personnages créateurs de fiction il va jusqu’à figurer la Page Blanche.
Que sont les contes sinon des leçons de vie ?
À ce stade Fables montre un créateur échouant face à ses personnages qui le dépasse. En cela non seulement il sauve son récit puisqu’il en reprend le contrôle mais plus grave il dévalorise non pas la Fiction mais le sens profond qu’elle aurait inéluctablement. Car que sont les contes sinon des leçons de vie données à des époques où l’on ignorait même parfois comment elle se générait, dictant des règles de comportement alors qu’on était soumis au maîtres, qu’on adorait des idoles, qu’on basait des calendrier sur les cycles trompeurs des constellations. (Oui, bon, je me doute de ce que vous pensez, mais ça évoluera certainement un jour !). On révérait le soleil mais on le croyait au centre de tout, on attendait le printemps sur une Terre plate, et le retour du Roi sacré ou de la Reine sorcière avec des sacrifices sanglants. Donc finalement, vivent les elfes et petites fées actuelles, elles ont bien plus de sens que leurs veilles sorcières de marâtres. Le passé nous apprend toujours quelque chose mais c’est surtout comment ne pas faire comme avant !
Willingham utilise donc les contes pour leur donner une morale qui les transcendent. Il les sacrifie à quelque chose de plus profond qu’eux. Une finalité qu’ils négligent souvent, ou rejettent après leur fin, au moment où « Ils vécurent heureux » alors que tout le conte a illustré des règles cruelles présentées comme sacrées. Plus, dans ces contes fait pour préserver l’inéluctables des cycles, Willingham trouve une ouverture entre les deux sœurs pour rejeter ça, sa fin est un vrai miracle de ce point de vue. Il sacrifie lui même ce que toute fiction dogmatique, tout conte classique imposerait. « Désolé p’tit tout est toujours une histoire de sacrifice » fait-il dire à un louveteau. Mais son sacrifice à lui est d’ordre narratif, il tord le cou des cycle et des fins attendues, il impose une morale où la paix c’est avant la fin, où ils vivent heureux mais ici et maintenant !
[ÉRIC FLUX]

C’est terrible mais je ne n’achèterai jamais ça à cause d’un graphisme « comics »/chiant. Par contre, Jean a révolutionné l’illustration avec ses couvertures. J’ai juste survolé le texte alors je ne sais pas si ça a été dit mais les contes avaient la politesse du format court, eux.