Punk Rock Jesus, de Sean Murphy

Il existe des récits de fiction, des histoires réalistes ou des documentaires romancés mais au-dessus de tout cela plane le genre rare et précieux entre tous : le conte philosophique.
La science-fiction en est la meilleur incarnation ou devrait l’être depuis Micromegas, Zadig ou Gulliver. Notez déjà la libre pensée de Voltaire ou de Swift, la science étudie la réalité, la fiction la met en scène, la pensée athée en est donc un vecteur essentiel. En ce sens Punk Rock Jesus de Sean Murphy paru chez Urban sous label Vertigo est un classique instantané du genre. Du genre qui fera date par la radicalité de son propos, la clarté de son dessin, l’évidence du récit. C’est une œuvre à thèses, démonstrative, franchement engagée dans un sens précis : démonter l’illusion, mettre en avant la réalité, balancer un gros pavé athée dans la face immonde des religions !
Un projet honorable pour lequel Murphy s’est donné des moyens efficaces. Une histoire à peine futuriste où l’on prétend cloner le Christ à partir du suaire de Turin, une mise en scène décalquée d’un grotesque estampillé Télé réalité qui monte le projet très Truman Show d »exposer l’ascension du nouveau sauveur, de la nativité à la mise en croix, face aux troupeau des masses asservies aux écrans.

Punk Rock Jesus, de Sean Murphy
Punk Rock Jesus, de Sean Murphy

Dans la postface en plus d’une tracklist punk déviée jusqu’à Kavinsky, Sean Murphy nous fait le récit court et précis de sa naissance à l’athéisme, sauvé des eaux par la réflexion au lieu d’être noyé par la prière (ce qui ce traduira par une allégorie très drôle bien que cruelle dans l’enfance de son messie) nous sommes donc bien en présence d’une thèse.
Et non d’un prêche. On le connaissait dessinateur d’une histoire d’Hellblazer, Mauvais sang : on retrouve ici sa violence graphique. On a parlé écemment ici de son dessin précis et structuré donnant une âme au récit de Morrison, Joe, l’aventure intérieur, il anime ici, épuré par un noir & blanc éclatant, une histoire qui lui est propre.
Nous avons donc une nouvel auteur complet et sans complexe.
Mais opposer ainsi Croyance et Savoir n’est pas sans danger. D’abord il ne s’agit pas de concepts symétriques qui pourrait s’affronter en une stérile querelle à base d’arguments subjectifs : le Savoir est relatif mais en relation avec une réalité unique et guidé par le doute, la Croyance est toujours absolue, soumise à des légions de divinités capricieuses et depuis toujours au moins majoritaire sinon le plus souvent totalitaire. Confrontés sur un plateau de télé ou l’émotion domine, le scientifique est régulièrement ridiculisé par un quelconque crédule pour peu qu’il appelle passions, rêves ou traditions à la rescousse. Ainsi dans l’histoire de Murphy le divertissement est roi, l’adulation des masses de croyants permet la récolte des sommes qui donnent aux manipulateurs télévisuels les moyens de fignoler les illusions aveuglant les troupeaux avides de mener à l’abattoir leur conception déjà confuse de la réalité.
Qui reste néanmoins têtue.
Même si relative : « L’évolution n’est qu’une théorie » clame le croyant « Comme la gravité » répond le scientifique, gravement. Le premier gagne la bataille émotionnelle, l’autre ne peut au mieux qu’espérer faire douter. Le combat est perdu d’avance si l’on place face à face des porteurs d’opinion. Celle-ci n’étant jamais qu’une soumission à notre propre subjectivité. Qui fait l’effort honnête et pour le coup réellement charitable d’essayer de la dépasser se verra crucifié. Ainsi Murphy joue un jeu délicat mais radical : il évite le piège de l’opposition biaisée Croyance/Science en plaçant son récit sur le terres de l’ennemi. Jouant le jeu des Prophéties, réellement, dans la réalité de la télé avec un peu d’ADN cloné, une vierge sélectionnée par sondage, une scientifique contrôlée par ses impératifs écologiques, et surtout un garde du corps plus que catholique : irlandais.

Punk Rock Jésus, de Sean Murphy
Punk Rock Jésus, de Sean Murphy

L’histoire commence par celle de ses parents, abattus sous ses yeux. Thomas devient un agent redoutable de l’IRA, terroriste croyant profondément à la justesse de son combat : Thomas ne doute pas de ce qu’il voit, c’est son péché originel.
Murphy est documenté jusque dans le détail de l’évolution de l’artillerie de l’Irish Republican Army, c’est désagréable cette nomenclature guerrière mais nécessaire comme l’analyse concise mais sans pitié des motivations détestables des deux camps. L’un étant tout de même l’agressé historique mais ça n’excuse pas tout et surtout pas les morts d’enfants.
La croix de Thomas.
Gwen, la vierge recrutée pour l’immaculée conception génétiquement modifiée, n’est pas non plus un personnage limité à ses clichés. Comme pour Thomas, Murphy nous la montre évoluant, se trompant, grandissant, jusqu’à une assomption tranchante. Ces deux là portent en sous texte un récit commun à peine évoqué et d’autant plus tragique. Jésus a beau être la tête d’affiche du spectacle, les personnages secondaires ne le sont pas : ses semblables méritent autant que lui notre attention. Ainsi Slate le patron du projet de clonage christique à visée télévisuelle travaille pour le groupe Ophis, serpent en langage actuel, une facétie de Murphy qui place sous l’égide du démon ce personnage à la langue fourchue, se justifiant par l’intérêt du public pour proposer un spectacle que celui-ci est censé désirer « Parfois nous voulons ce qui n’est pas bon pour nous, et vous leur donnez » lui jette à la face la scientiste du groupe résumant en peu de mot le paradoxe minant le monde du spectacle : en bref donner un programme en fonction des supposés désirs d’un public qui ne sait foncièrement pas ce qu’il veut c’est nourrir la bête !
Alors la réalité, qui, on ne le répète jamais assez, est têtue, se venge et donne aux croyant ce qu’ils veulent : Jésus, le retour. Pour de vrai, cloné de frais, élevé comme de juste dans le respect des textes classiques et formaté pour devenir le Messie actuel. C’est-à-dire l’espoir, la vérité, l’amour : tout le contraire du programme. Qui bug donc. Le petit veut bien croire aux miracles mais encore une fois, la réalité, tout ça, et comme il se trouve qu’à défaut de miracle l’intelligence peut faire surface c’est un Jesus athée qui explose à la figure des spectateurs. Le reste est pure plaisir et il faut en profiter comme tel !

Punk Rock Jésus, de Sean Murphy
Punk Rock Jésus, de Sean Murphy

Mes frères soyons sincères il se trouve dans cette BD les pages les plus incroyablement jouissives qu’un athée honnête puisse lire . C’est rare, inestimable, sachons l’apprécier.
Car pour le reste la noirceur domine. Avec des vies brisées par la croyance ou simplement la génération, Thomas par le traumatisme familial, Gwen par la culpabilité maternelle, des foules hystériques, des mensonges cupides sacrifiant des innocents et de l’action, violente, avec des ellipses, beaucoup dans l’acte même, rapides, très rapides, presque trop parfois mais sans sublimer la cruauté, juste pour en souligner l’horreur. Et pour cela les détails aussi sont soignés, Murphy a un sens de la mise en scène qui déclenche des mouvements inattendus mais pourtant inévitables. Ainsi un simple coupe papier ne surgit pas par hasard dans la main de la vierge stigmatisée. Et lorsque celle-ci lit la bible à son messie de gamin c’est une image issue du Joe de L’aventure intérieur qui surgit par surprise. Ça coule de source, c’est limpide, onirique et angélique. Les dessins nous apaisent aussi par des images simplement belles, naïves, touchantes, associant des opposés en fusion : des enfants dans les bras d’une ourse, des ados punks et rebelles dans ceux d’une brute militariste colossale.
Punk Rock Jesus mérite aussi son nom par les nombreuses références Punk disséminées tout au long de l’histoire, voir réapparaître Stiff Little Finger c’est amusant, les Dead Kennedys ne serait-ce que pour leur Jesus was a terrorist ce n’est que justice ! Si vous cherchez bien vous verrez aussi des noms comme celui de Richard Dawkins ou des titres comme God is not great toutes choses très recommandées.

Punk Rock Jésus, de Sean Murphy
Punk Rock Jésus, de Sean Murphy

Murphy est didactique, son récit fait des poses pour rappeler des faits utiles au lecteur américain ou simplement humain. Comme remettre à leur place les « Père Fondateurs », loin d’être les culs bénis qu’imaginent les croyants ou que « la plupart des prix Nobels sont agnostiques ou athée« . Même si ici l’athée scrupuleux, et un peu pénible c’est vrai, pourrait être choqué par cet acoquinage avec ces hypocrites d’agnostiques qui font pire que les croyants, qui ne croit qu’en des choses imaginaires, eux ils croient carrément en la croyance sous prétexte de ne pas savoir (a-privatif, gnose-savoir). Mais c’est bien le seul petit défaut qu’on pourrait trouver dans cette histoire. Qui n’est pas aussi sans faire penser à celle d’un enfant réellement élevé dans une secte pour en devenir le messie et qui a su trouver la force de s’en extraire pour la combattre. Il y a du Krishnamurti s’extirpant des perversions de la Theosophie dans ce Jesus là !
Enfin, il y a eu un Jean-Baptiste à ce Messie, il y a très longtemps est paru une nouvelle de SF dans ce qui reste encore la compilation la plus révolutionnaire jamais collectée dans ce genre :
Dangereuses Visions Tome II (Harlan Ellison est son prophète)
1ère Evangile « Seigneur Randy, mon fils » selon Joe L. Hensley, épitaphe
« Il y en eut un autre, né dans une crèche et mort sur une croix.
Celui-là fut protégé, à l’abri pendant un moment, et la maturité lui vint sans forcer.
Mais le nouveau, le Nouveau né pour notre ère, verrait la haine brûlante de l’homme pour son prochain, si brûlante qu’il se hait lui même. Il voit cette haine dans l’Alabama et au Vietnam et même dans le petit monde qui l’entoure. Il la voit à la télévision et la lit dans les journaux et il grandit sans protection dans ce monde de communication de masse hystérique.
Et il projette, et il décide.
Celui-là atteindra la maturité et connaitra la colère »
Écrit en 1967, l’année du Summer of Love, plus de cinquante ans après la haine s’est trouvée de nouveaux média, de nouveaux mouvements et l’Amour a changé de camps.
Sean Murphy a choisi délibérément le sien, sans dieu donc avec Amour.
[ÉRIC FLUX]

Une réflexion sur “Punk Rock Jesus, de Sean Murphy

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s