Ce titre est un point de vue. Un axe autour duquel s’agite un univers tout de relativité.
Un village renfermé, Magnat l’Étrange, dans lequel bougent relativement des particules humaines liées par diverses interactions plus ou moins grave. Ca forme un tout cohérent avec des histoires entremêlées mais compréhensibles seulement pour les sujets qui les vivent. Que survienne un élément neutre avec une vision objective et les personnages se définissent, les faits divers deviennent des histoires et ce qui ne serait que de tragiques banalités locales se structurent en un conte au sens implicite, au dessus de la mêlée confuse des passions privées, une fable avec une possibilité morale parce que réelle, lisible, fluide.
C’est un peu pour ça que Simon Hureau mérite bien d’avoir eu un prix au Festival de la Bande Dessinée de Darnetal « Normandiebulle ».(1)
Intrus à l’Étrange (La Boîte à Bulles) peut être lu en contrepoint d’une autre histoire de Simon : Tout doit disparaître (paru chez Futuropolis en 2006) Où dans une petite ville Normande des adolescentes sont perturbées par une nouvelle amie vue comme gothique par la faune locale parmi un environnement rural se dégradant au contact des tentacules urbains (Voies express, spéculation immobilière, « négoces mettant la clef sous la porte »…)
Et puis arrive une accélération du récit, une plongée abîmante dans la folie de personnages condamnés. Cette aventure est une horreur, une réussite impressionnante mais pourtant moindre que celle qui nous intéresse maintenant.
Simon Hureau prétend être sorti de son « coté obscur » avec Intrus à l’Étrange mais ce doit être par un tour génial de magie scénaristique. On est toujours dans un lieu défini (un village du plateau de Mille-vache), les acteurs sont encore des personnages immergés dans des relations moisies par le temps, il y a aussi un équivalent de la Mélusine de Tout doit disparaître fille très indignée d’un père très injustement réduit à l’état de bouc émissaire du coin. Un coté gothique rural accentué par le passage de quelques chauve-souris qui semblent nicher dans quelques cavités du récit. Mais, au lieu de plonger ses lecteurs dans cette mare putréfiante, Simon nous donne un guide. Une vision extérieur au cadre : Martial, arrivé en ces lieux en parfait étranger et mû uniquement par le besoin de rendre un dernier hommage à son grand-père tout juste décédé et qui avait des rapports avec ce lieu éloigné de la capitale fuit par le Héros.
C’est une silhouette ce Martial. avec son chapeau à la Charlot, son côté désuet, sa gentillesse, sa neutralité par rapport aux émotions locales exacerbées. Tout juste si il hausse un peu le ton lorsque les circonstances font que les personnages du cru insistent à le prendre pour un de ces journalistes attirés chez eux par quelques faits à sensations. C’est le rôle du clown blanc, de Tintin, du héros conçu comme un phare autour duquel s’agite tout un monde rendu visible par sa présence. D’où, le génie de Simon qui surmonte par ce biais la simple impression d’immersion en milieu complexe pour en dessiner une aventure d’une rare fluidité.
Car c’est dans un luxe de détail qu’il réussit l’essentiel : non seulement nous donner à voir des dessins toujours limpides dans leur précision scrupuleuse mais en plus une narration jouant avec une rare maîtrise du temps. Ainsi lorsque l’histoire atteint son apex, que le lecteur à vraiment besoin de savoir ce que l’intrigue cache, comment tous les éléments doivent s’assembler et les ombres entre aperçues se montrer dans leur totalité, l’auteur accélère, passe en mode muet et nous balade longuement dans un autre monde fascinant tant sa réalité est éclatante. Pas besoin de texte, le parcours dure, explique seulement par l’image, résout les énigmes, les rends désuètes, insiste sur la réalité et sa rude lumière.
C’est un peu essoufflé que l’on en sort, nourri d’images, étonné d’avoir été à ce point captivé et satisfait par ce qui aurait pu n’être qu’une petite histoire locale en noir & blanc et qui se révèle comme une aventure dont les contrastes vont de l’obscurité foisonnante au blanc éblouissant.
[ERIC FLUX]
(1) Samedi 24 septembre à l’unanimité du Jury dont l’auteur de ces lignes faisait partie, ce qui doit être dit ne serait-ce que pour souligner la volonté d’impartialité qui m’anime présentement. L’honnêteté me forçant de plus à ajouter que TAO notre magazine initial à ce blog, avait déjà publié Simon Hureau en 1999 dans l’exemplaire consacré à David B. Pour le reste n’y voyez rien d’autre que coïncidences et un peu de constance dans nos avis !
Une réflexion sur “Intrus à l’Etrange, de Simon Hureau”