Blutch est insensé !
Ce mec se prend pour un poète ou quoi ? Attend, il raconte des histoires qui mènent à rien !
Lune l’envers, c’est malin hein ! L’un c’est l’une et Lune c’est l’autre ?
Faudrait voir à remettre tout ça à l’endroit, dans le bon sens et au bon tempo.
C’est chez Dargaud (épinglé au dard goth tel un nouveau souffle de Godard).
Lune c’est une vieille, l’autre ça serait une jeune alors ? Une vieille Lune qui serait la fille d’un éclat de Lune. SunnyMoon était malade, elle est morte, alors Blutch est allé aux envers, pardon aux Enfers la libérer de l’Eurifice, pardon telle Eurydice.
Blutch est dans le récit de Blutch un jeune con arrogant vendu à MediaMondia œuvrant en urgence à la publication d’un nouveau tome de la célèbre BD Le nouveau nouveau testament.
Le public réclame la suite, le Groupe qui la publie est « un grand paquebot ou chaque membre d’équipage est essentiel à la bonne marche du navire » jusqu’à ce que la jeune Liebling soit cloitrée dans un poste « plus en adéquation avec ses domaines d’expertise« .
Bref mettre ses mains dans des trous à fond de cale pour qu’elles produisent ce qu’elle ignore. L’enfer en effet, si le processus s’appelle Eurifice c’est bien vu même si c’est cette Eurydice qui en deviendra aveugle. Et l’or fait par ses mains cachées sera de celui qui rayonne sous les mains tendues des masses. Ça rapporte !
C’est un détail mais aussi une constante les personnages portent des noms issus des racines strasbourgeoises de Blutch. Lantz aime, plus trop, avec regret, nostalgie, celle qu’elle est mais qui ne sera plus ce qu’elle a été. Ce qu’il anticipe violemment et refuse mollement. Lui même jeune ne l’est plus. Du coup il est vieux Lantz. Avec femme et maitresses. Usé par les tomes précédents du Nouveau nouveau testament il fait trainer le suivant. La vitesse moderne l’a dépassé il se fait maltraiter avec plaisir par ses femmes et doigter par ses chefs de rayon aux majeurs qui tazent. Étonnez vous ensuite qu’il ne fasse plus que face de pile électrique !
C’est un point commun que Blutch a avec Goossens (prochainement à venir dans ces mêmes pages) : la figure du personnage au visage exalté tant tendu à craquer que ses yeux ronds à la rétine pointue lui bouffe la face. Sa bouche crache aussi des trivialités comme chez Goossens, un langage cru, vulgaire jusqu’à en être fin et précis. Fuyant sa maitresse enceinte et plaidante « n’oublie pas que nous sommes trois dorénavant… inspiré par l’amour qui nous lie, tu vas surmonter cette épreuve… » Il trouve les mots justes « un coup de chiasse… faut que j’aille aux chiottes. » Avant de s’extraire par la lucarne des tinettes lâchant la morale de la scénette : « Elle est vraiment trop vulgaire ! C’est pas possible« . L’envers c’est les autres pense-t-on alors.
Blutch les aime souvent nu pied et souvent et recroquevillées, si possible. Quand elles marchent c’est avec le pas tendu ou alors la jambe, dénudée aussi, souple mais ferme pour bloquer la porte au Blutch dessiné qui vient la supplier de répondre au public avide. Puis il la foudroie de son majeur. La mise en couleur est d’Isabelle Merlet et d’autant plus subtile qu’elles sont souvent passées alors que le personnage électrocuté git dans un gris vague. Libling ne dessine pas de BD, encore moins de suites à succès, c’est une artiste que Blutch harcèle avant de se scandaliser de ses œuvres obscènes et de ses demandes explicites « regarde la méduse dans les yeux« .
Enfin il y a la trahison, une fois à l’endroit une fois à l’envers, Lantz est double, quand il se meurt il sauve quand il renait il trompe.
On pourrait se complaire dans une vaine tentative de remise à plat de l’ensemble. Elle doit exister, Lune l’envers est cohérent jusque dans sa texture, narration et dessins sont sans fautes, le lecteur doit seulement faire confiance à ce rythme décalé et en cela très dansant de Blutch. « On ne peut pas toujours virevolter, mon garçon, aujourd’hui c’est une femme… » disent les parents du héros alors jeune qui les finis par « et demain ce sera une dame« .
Tout l’art de Blutch consiste à retourner cette réalité avant d’en admettre la fatalité.
L’histoire a la structure d’un mythe, sa logique est poétique mais aux vers suivants des thèmes stricts même si inversés mais surtout constant chez l’auteur. Pourquoi s’étonner alors du sens de l’œuvre, à l’envers ça ne mène certes à rien mais c’est bien la Lune qui s’éclaire avant de s’éclipser. Encore Sunnymoon qui s’efface.
Ainsi Liebling faisant route vers ce qui sera sa chute croise, en une scène muette comme l’auteur sait en rendre le ballet, un chien et son maître qui seront l’un et l’autre des Cerbères mordants.
Et enfin, avant de descendre extraire l’aimée des enfers, Blutch dit à la réception « Conduis moi à ton chef, je viens en paix »
Menteur ! Pour l’une l’envers est déclaré !
[ÉRIC FLUX]
• Interview de la coloriste Isabelle Merlet par Jean-Luc Coudray
• L’exposition d’originaux à la Galerie Barbier & Mathon
• Les premières pages de l’album