Flex Mentallo, flux mental (Grant Morrison et Frank Quitely)

C’est la faute de Vertigo : Grant Morrison n’en fini pas de revenir et ça intoxique à force !

Urban Comics fait revivre ses aventures d’avant Nou3 ou All Star Superman mais déjà avec Frank Quitely. Avant le siècle, 4 ans avant le millénaire, c’est pas un hasard si le flux s’est incrusté maintenant alors qu’Alan Moore est toujours d’actualité en ces pages et qu’à l’époque lui aussi concentrait en poupées russes les origines des héros recyclés en d’autres origines étalées sur des décennies d’âges d’or, d’argent, de sang et de perversions.

Mais revoir Flex plonge dans des abimes où, par comparaison qui n’est pas raison, Alan Moore jouerait dans la cour de Van Hamme.

Enfin presque, désolé Alan, mais le créateur des Invisibles et de The Filth s’est rendu éclatant au point de nous salir à travers ses comics.

Il est là Grant, grandi, c’est certain, aussi sûr que Flex Mentallo un magnifique Hercule moderne, est la créature d’une autre de ses création. Super-héros né d’une pub pour catcheur bodybuildé devant te convaincre lecteur : « allez, remplis ton coupon et je te montrerai comment devenir un vrai homme ! » Moi aussi j’ai été détourné de mon flux d’origine, convaincu d’aller au-delà d’Alan, soumis au mots du Héros de la Plage pour, comme lui, faire face à mon narrateur.

flex7Flex n’est pas que « Le détenteur du mystère du muscle » c’est un personnage conscient d’avoir été crée par quelqu’un qui se trouve être aussi une création de Morrison : Wally Sage , scénariste star échoué à cet instant en bas de son immeuble, téléphonant à SOS Amitié en pleine agonie d’overdoses multiples et délibérées, suicide artistique de celui qui a crée Flex pour fuir ses peines d’enfant et ensuite il a fait pire : « Il m’a extirpé des pages et envoyé dans le monde réel pour que je puisse l’aider. »

Flex le sait, n’en éprouve nul trouble et saura agir en héros !

Et moi je suis très contrarié de voir à quel point ce récit intoxique.

À l’origine « je voulais juste parler de comics, tous ces magnifiques comics de merde ! »

Et voilà ce ne sont même plus mes mots qui sortent de moi, contaminés par un récit qui ne se contente pas d’affronter un poncif du genre, un effondrement causal moult fois exploré ici-même, mais sans Moore cette fois bien que toujours prétexte à donner à la fiction plus de réalité que le monde concret qui se réduit à la générer. Peut-être que la réalité avait un défaut dès le départ : nous savions qu’il manquait quelque chose et nous avons essayé de combler le vide avec des histoires de dieux et de super-héros. Et dans ce vide Franck Quitely fait tournoyer les personnages à travers des points de vue inversés, biscornus, intriqués mais, et c’est le plus troublant, toujours réalistes. Comment ne pas avoir l’esprit collé aux planches quand elles renversent toutes la pièce ? Comment ne pas être trompé par un récit si proche de la réalité qu’il la retourne sans nous laisser un espace pour reprendre pied.

flex11« On peut faire croire n’importe quoi à n’importe qui… Vous croyez que c’est votre vie ? Ce n’est qu’une farce ! » Bien sûr vous pourriez réagir, penser que remettre en cause le bon sens de tout un chacun ne fait que flatter votre goût caché pour la joie malsaine de l’altérité radicale mais en fait « ce n’est pas parce que vous êtes paranoïaque qu’ils ne le sont pas eux aussi ! »

Le plus simple est de plonger dans l’esprit torturé de l’auteur se soignant à sa fiction. Alors…

« Tu vois la réalité pour ce qu’elle est : une histoire imaginaire. »

Plusieurs histoires en fait. Issues d’un âge d’or enfantin, mais naïvement sous-tendu d’interdits érotiques, il se pare ensuite de l’argent des demi-dieux et des marchands, Mercure incarné luttant contre les démons d’alors venus d’un ailleurs de la science ET souvent globuleux. C’est bien après qu’un âge sombre échappa à son Gardien, Moore toujours, et répandit sur les capes et les collants des torrents de sang et même parfois des gouttes de sperme. Dans sa quête Flex traverse toutes ces époques, croisant parfois des êtres super-rapides s’accouplant avec leur propre image rémanente alors que Wally Sage crève de se demander à qui il tenait la main, enfant, et qu’adulte il vomit ce que sont devenus ses héros, « il n’y avait plus cet amusement enfantin, il s’agissait juste d’écraser et de tailler des trucs en pièce ! Viole-moi Satan ! Empale-moi sur ton trident comme un asticot ! Ce genre de conneries. On ne s’y amusait pas, c’était triste et froid comme un avortement. Carrément ! Putain Fredric Wortham avait raison ! »

Oui, carrément ! Car celui-ci vient vraiment de notre réalité commune, psy ayant le premier conchié les comics et incité les parents à brûler les belles images colorées de leurs enfants. Alors elles n’avaient rien à voir avec celles de l’âge sombre, comment celui-ci en était arrivé à justifier à posteriori l’anathème du vieux jivaro maccarthyste ?

« La première fois que j’ai lu le mot « néant » c’était dans un comics. »

Enfant il a affronté ce méchant mot, avec des images exemptes de grotesque puisque nécessairement héroïques, le gardant à l’abris dans sa chambre, alors que dehors les missiles menaçaient chacun de ces jours. Ensuite, les murs tombent, pas les craintes enracinées, le monde effraie plus prosaïquement, les images restent protectrices même si plus sombres car

« seul un petit ado amer pourrait confondre le réalisme avec le pessimisme. »

flex16+Nous sommes entre Flex et Wally Sage, l’un gardant son slip et son esprit pur, l’autre luttant en se demandant si il a pris des acides où des M&Ms. Forcément il y aura fusion et des Polyvers se pénétrant dans ce bocal qu’est la réalité réduite à un comics débordant de partout.

« Le Fait est : le Poisson a été changé plus souvent que l’eau. »

Les vrais personnages sont ceux qui mutent leurs auteurs et parfois leur lecteur, « bienvenue, vous avez vécu dans la première BD ultra-post-futuriste : les personnages ont le droit à une synchro-interaction complète à ce stade.

C’est marrant, ce qui reste à la fin, non ? Que les conneries ! Pas Guerre et Paix, ni James Joyce, mais les comics, les Super-Héros… Ils sont archétypaux, ils viennent du plus profond…comment peut-on qualifier ça de conneries ? »

Ça vient de tellement profond que les jeunes lecteurs sont souvent confrontés aux Titan des origines, au vrai néant, à la volonté de tout réduire sous un seul chef : « le méchant qu’on appelle l’Absolu. Personne n’imagine ce qu’endure les enfants. »

Reste à relativiser ce méchant qu’est le texte souverain pour qu’il me laisse en paix, enfin.

flex25 flex26Il se trahit lui-même grâce aux beaux croquis en fin de volumes montrant les recherches de Quitely et parfois le texte original de Morrison. Résistant à la traduction alors aussi graveleuse que les approches de petits cons de second plan qui apostrophent une jeune fille en anglais, chantant « Kitty-Kitty, Chicky-Licky, Slice’N’Nicey » rendu par un lamentable « Doucement petite poulette viens là » !

Peu importe le style, reste le sens des mots où nous mène l’auteur, « ce n’est pas la mort, préparez vous à devenir fictionnel. »

[Eric Flux]

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