Rebelle, de Brenda Chapman et Mark Andrews (Pixar/Disney)

Rebelle, de Brenda Chapman et Mark Andrews (Pixar/Disney)

Pour résumer : Rebelle est l’exacte inverse du Roi Lion ! À un point tel que l’on pourrait presque en rester là dans le compliment.
Continuons pour le plaisir, avec un titre aussi ramassé et programmatique la promesse avait toute chance elle aussi de se ramasser. Il n’en est rien : Rebelle l’est en tout point. Autre aspect risqué pour un Disney même Pixarisé : l’axe résolument féminin de l’histoire. Il est négocié avec une telle justesse qu’il justifie de surcroit la mise en danger par le  plongeon dans un environnement ensorcelé si propice aux vaines rêveries.
Mais je me doute que cela ne va pas suffire.
Peut-être même que certains trouveraient à redire quant à la mention du lion sot. Alors attrapons le par la queue et montrons-le à ces madames !

Dans Rebelle il y a icelle, Merida jeune fille dégourdie, princesse de son état, highlandeuse à une époque où les clans écossais se comportaient comme n’importe quels gaulois issus d’un monde celtique encore vaguement picte, face à des agressions plus vikings que romaines. Mais pas trace de Falbala chez elle, sa potion magique c’est son caractère trempé dans les eaux glacées du nord et bronzé au soleil rare mais ardent qui fait fleurir les genets sauvages des landes. Rousse donc et la chevelure travaillée par quelque nouveau logiciel qui a la décence de s’effacer quand ses mèches sont au vent. Et pour galoper elle galope la bougresse. Elle tire aussi à l’arc et sait faire flèche de paroles bien senties quand ses royaux géniteurs ont des projets trop traditionnels pour elle.

Rebelle, de Brenda Chapman et Mark Andrews (Pixar/Disney)

Et là est déjà la rupture avec un récit Disney traditionnel : la princesse refuse le Prince Charmant. Qui d’ailleurs n’existe pas, aucun mâle de l’histoire n’a la moindre profondeur à côté des trois aspects féminins qui nous sont proposés. Ils n’ont que des rôles d’accompagnements, sympathiques souvent, grotesques régulièrement, effrayants jamais à l’exception du seul vrai prétendant potentiel au trône du mâle dominant : un ours revenu du fond des âges, abimé par leur obscurité, figure ancienne de la sauvagerie naturelle contre laquelle Merida se dresse. Le père est bonhomme, Falstaff élevé en plein air, les petits frères des triplés vivaces et farceurs mais mutiques et les prétendants des bravaches qui feraient paraître héroïques les concurrents à la main de Pénélope. Mais telle est la tradition : une princesse doit être soumise et accepter la transmission des pouvoirs générationnels en pliant devant les vieux lions pour que de jeunes lionceaux naissent d’elle et conservent ce cycle paradoxalement stérile. Le film ne discute pas de la pérennité des anciennes manières, pas si ancestrales au fait : avant cette période déjà moderne le matriarcat avait des droits parfois encore plus radicaux que l’histoire retrouve en toute innocence.

Rebelle, de Brenda Chapman et Mark Andrews (Pixar/Disney)

Les trois figures féminines sont celles, archétypales, des trois sorcières, devenues fées au fil des contes : la veille carabosse au-delà des âges qui fait commerce avec les esprits, la Reine rayonnante d’autorité qui domine naturellement ses sujets et son mâle symbolique et la nouvelle née, portée par sa seule volonté, volant sans contrainte vers sa destinée. Fée, Faerie peut-être mais Fatum à l’origine. C’est d’ailleurs le seul point apparemment faible du film ce rappel constant qui est fait au Destin. Agaçant même mais c’est aussi sa justesse que de mettre des bornes pour que le personnage s’y cogne.
L’échappé se fait dans des décors qui n’en sont plus, la 3D se justifie quand elle enrobe et nous immerge dans plus grand que nous et quoi d’autre que cette nature illimitée peut prétendre à ce cadre sans fin ? À ce stade l’animation n’est plus seulement fluide mais évidente, les personnages ne sont plus des poupées lisses se détachants de vagues décors mais des êtres animés par leur environnement. Alors que jadis et ailleurs les lions feulent vainement dans leur paysage étique en projetant leur silhouette dans des aventures sans éthique Rebelle ne plagie pas Tezuka et son Lion Blanc mais retrouve les accents animistes de Miyazaki. Les Feus Follets portent la même lumière que les phosphènes de Mononoké la majesté du Roi Cerf est dans l’ombre de l’Ours et Merida à l’ardeur de Nausicaa.
Mieux même : nous voyons l’histoire par ses yeux et adhérons ipso facto à son point de vue.

Rebelle, de Brenda Chapman et Mark Andrews (Pixar/Disney)

Ainsi côtoyant la Reine nous nous imprégnons de ses manières dans les détours de l’arrivée du thème. Et lorsqu’il faudra comprendre sa métamorphose c’est naturellement que ses gestes seront acceptés au-delà de sa nouvelle apparence par les yeux de sa fille. Et là se situe la plus considérable rupture d’avec toute trame folklorique dans ce genre de conte. Il n’y a pas de contemplation régressive d’une Nature par nature bonne.
Un effondrement causal tellement traditionnel !
La Reine maîtrise la Bête et sa chute dans la sauvagerie bien que fatale n’est pas consentie. La Princesse récalcitrante lutte autant pour échapper à son devenir programmé que pour sauvegarder les conditions de sa survie à savoir l’intégrité de sa génitrice.
Le rapport entre la mère et la fille est l’axe éblouissant du film.
Non pas tant par l’apprentissage d’une connaissance mutuelle qui était déjà une évidence mais par les découvertes qu’elles font d’elles mêmes en se frottant l’une à l’autre. L’approfondissement de leur affection ne les fige pas dans une image stérile de l’autre mais les force au changement, au progrès. Ainsi Rebelle est grande quand elles sont deux à se rebeller contre leur nature, respectant ainsi la volonté immanente de la Nature en permanente évolution.

Rebelle, de Brenda Chapman et Mark Andrews (Pixar/Disney)

Sans que rien en tout ceci ne pèse ni ne pause, l’esprit de sérieux se tient à distance, les gags abondent, le ridicule titille l’action en continu et l’humour est assumé jusqu’au dernier plan où le devenir de l’héroïne reste grand ouvert aux vents du changement.
Par contraste un lionceau héritant par tradition royale un trône figé dans un désert stérile à travers de mesquines trahisons avunculaires fait figure malgré son jeune âge de vieux réac !
Rebelle est donc bien l’inverse du Roi Lion : une nouvelle icône surprenante de fraicheur et de modernité dans une maison qui nous avait surtout habitué à détourner des archétypes extraits au forceps de contes classiques pour les détourer et les encadrer aux murs des exigences conservatrices.
Rebelle, elle, sort du cadre…
[ÉRIC FLUX]

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