…n’est pas vraiment synchro avec son titre.

Mais la rupture de rythme, le break décalé, le pas qui trébuche en cadence peut donner à voir une chorégraphie où l’ensemble des danseurs s’effondrant en phase avec leur décor crée une symphonie qui les dépasse et retourne l’âme du spectateur.
Ainsi « Le ChamP de la Machine » pourrait se résumer dans ce jeu de mot simplet tant il y est plus question d’environnements, de lieux, de circonstances que de sons produits musicalement par des machines.
Ce livre, une réédition, un classique maintenant de l’histoire dessinée de la House musique au sens large, signé David Blot & Mathias Cousin (disparu depuis) préfacé par Daft Punk, me contraint à une lecture en stéréo.
L’intégriste de la musique électronique – au sens large Pontifiant Vieux Con (PVC) que je suis – qui a raison objectivement mais souvent tort dans le corps du sujet, doit d’abord rappeler que les machines musicales ne viennent fondamentalement pas des USA mais plus d’Allemagne, Japon, France même : Kraftwerk, Tomita, Szajner … Le yankee s’est contenté de s’en inspirer. C’est admirablement rappelé dans le passage sur la naissance du mot « Techno ». C’est un vieux débat passionnant qui oppose le PVC à divers fanatiques prétendants que l’innovation musicale viendrait d’outre Atlantique et que l’Europe suivrait. Alors qu’en fait les américains adaptent sans cesse des formes nouvelles sur leurs vieilles danses folkloriques. (Vous pouvez huer, je force le trait, il y a aussi des Residents, des Devo, des Laurie Anderson, des Rapture, des Canterel, des Juan McLean…qui sauvent les USA)
Mais, n’en déplaise à l’intégriste des formes pures que je suis, c’est justement ce qui est passionnant dans ce livre cette évolution à l’arrache. Certes, contrairement au sous entendu implicite des auteurs, la musique ne se limite pas à la danse, surtout pas celle des machines, mais l’adaptation des humains à l’émergence radicalement nouvelle de la musique, la vraie, mathématique, en s’acharnant à la dévoyer dans des paroxysmes d’expression corporelle, est bouleversant. L’angle social des auteurs est bien sur subjectif (c’est l’impératif catégorique de l’humanité actuelle) mais ainsi nous plonge dans les différents moments de révoltes vraiment populaires de ces dernières décennies.

Disco narrée à la Crumb qui pervertie le puritanisme jusque dans les conditionnements les plus bourgeois, libère une ravageuse exubérance gay dans un monde confit de certitudes hétéros, explose dans les moiteurs orgiaques de pistes de danse alors nouvelles. Oui à cette époque lointaine pour certains, dont j’étais, c’était beauf et seulement ça, mais avec ce genre de récit cette vision des choses, pourtant trop strictement orientée vers cette naïve élégie, est finalement révélatrice, et même porteuse d’espoir.

Traiter justement de l’irruption Rave en rappelant l’ignominie Tchatcherienne du « Criminal Justice Bill de 95 » interdisant les réunions festives est salutaire, montrer précisément l’apparition des « Bloc party » (ce n’est pas qu’un groupe qui fut bon!) dans les Projects (HLM ricains) où les basses s’imposèrent enfin, souligner l’importance des drogues diverses et variées en n’oubliant pas la MéthyleneDioxyMethamphetAmine, être aussi proche de la geste de Frankie Knuckles ou de l’érection du Palace suffirait largement à louanger cet admirable concentré de vies exaltées.
Oui vieux con il y a ce mépris (inconscient, innocent, pardonné) pour la vraie musique synthétique de Tangerine Dream à FutureSound of London. L’oubli de vrais innovateurs comme John Foxx, Fad Gadget, Shamen, Recoil, Fluke, Chemical Brothers et beaucoup d’ autres du dernier millénaire. Alors que des listes d’artistes sont souvent pertinentes d’autres comme celle du chapitre 6 est largement hors sujet (Buzzcoks, Durutti column, The Smiths, The Fall ??? Que du respectable mais où sont leurs machines ?) et trop souvent il faut déjà connaître l’histoire pour en deviner les protagonistes.

Mais ce sont des détails car il y a aussi un magnifique hommage à New Order. La suicide de Ian Curtis pourrait servir de vrai pivot pour décrire, via la fin de Joy Division, le basculement du radicalisme Post Punk, qui devait enterrer le folklore Rock, dans l’épure musicale d’un Ordre Novateur anecdotiquement dansant. Un livre reste à faire sur cette incroyable révolution artistique. Au moins Le Chant de la Machine fait un rappel sur le Clip de Perfect Kiss qui condense 5’23 de perfection musicale pas obligatoirement dansante. Filmé par le Jonathan Demme (déjà réalisateur du live des Talking Heads, parfait jusque dans son nom : Stop making sense) avec Henri Alekan à l’image (maître opérateur de La Belle et la Bête de Cocteau). La moindre note est nécessaire, tout ajout serait inopportun, pas la moindre affectation dans la pose des instrumentistes, seule la musique compte. Alors où est la Machine, où est le Chant humain, qu’importe la gesticulation aux regard des autres quand seul reste un son organisé pour être suffisant en lui même et vous inspirer par sa perfection ?
Une postface d’Alexis Pierre Le-Tan, graphiste proche du dessinateur disparu, revient sur la force évidente du dessin de Mathias Cousin.
Enfin, puisqu’il ne saurait y avoir de suite à cette histoire et qu’ils la clôturent dans l’amertume d’un an 2000 décevant, et certes puisque les premières fois ne sont pas réitérables, plus jamais les mouvements comme ceux qu’ils décrivent ne reviendront dans leur jus alors citons quelques noms au hasards parmi des centaines récents et dépassant souvent ceux du millénaire bien largué pour souligner une vérité initiée par Pythagore, rappelée par la Gnose et transmise par quelques Soufis, Musique = Chiffres,
Elle ne fait que naître :
Boys Noize, Cascadeur, Crystal Castles, Datarock, Delphic, Detachments, Digitalism, Empire of the sun, Fever Ray, Gotye, Hot Chip, IAMX, Jennifer Cardini, Kelley polar, Krystal System, M83. Noze, Metronomy, Penelope[s], Pony Hoax, Popnoname, Sleigh Bells, Sourya, South Central, The Amplifetes, The Presets, The Shoes, These New Puritains, Thieves like us, Tiga, Tim Exile, Toxic Avenger, Who Made Who, Woodkid, Yacht…
[ERIC FLUX]
• Pour découvrir les groupes et musiciens cités dans cette chronique cliquez sur leur noms.
• Les premières pages du Chant de la Machine chez ManoloSanctis
Tiens, c’est rigolo, je viens de récupérer l’album d’Empire of the Sun et ça faisait longtemps que je ne l’avais pas écouté. Il est bien meilleur que dans mes souvenirs.
Post face de Pierre Le Tan qui est le père d’Alexis Le Tan. Pierre Le Tan est illustrateur.
Merci pour ce rectificatif, correctif.