
Comment s’est faite ta rencontre avec Serge Lehman ?
GESS : J’avais illustré un recueil de ses nouvelles, Le Livre des Ombres à l’Atalante. Lorsqu’ils lui ont demandé de faire de la BD il a proposé cette idée qu’il avait depuis très longtemps : parler de la disparition des Super-héros européens à la fin de la seconde guerre mondiale, au travers de la Science fiction et du feuilleton romanesque. Ils m’ont contacté pour que je «manage» un studio pour faire cette série mais j’ai préféré le faire moi-même. J’étais en bout de course sur Carmen Mac Callum, mon dessin changeait et ça tombait très bien.
GESS : Ca faisait une dizaine d’années qu’il y pensait. Je crois que ça date de l’époque où il était vendeur dans une librairie de BD, beaucoup de comics lui passaient sous les yeux et cette question – en lien avec la philosophie et une vision de l’Europe qui le passionne – est devenue très perturbante.
GESS : Je suis tombé dedans quand j’étais petit. J’allais chercher mon Strange, mon Marvel toute les semaines. A l’époque il y avait encore Jack Kirby, grand dessinateur, et Stan Lee au scénario qui assuraient comme des bêtes. Et comme Serge, je ne comprenais pas pourquoi il n’y avait pas de Super-héros en Europe.
GESS : Aujourd’hui, même si c’est relativement limité, tu peux trouver tout ce que tu veux sur Internet. Mais ce sont surtout les scénarios de Serge, parce qu’ils sont pleins de descriptions incroyablement détaillées, qui m’ont aidés. J’avais plus d’éléments qu’il ne m’en fallait. Je n’ai eu qu’à piocher dedans pour faire mes images. C’est un amoureux et un connaisseur de Paris. Grâce à ses descriptions j’avais l’impression d’être intime avec la ville alors que je n’y met pratiquement jamais les pieds. J’ai dessiné un Paris un peu fantasmé et c’est bien ainsi.

GESS : Ca apparaît en filigrane parce qu’on a peu de temps pour l’exploiter. J’ai passé parfois une soirée à faire une fausse couverture d’un journal à partir de documents d’époque dont on ne voit que le quart du résultat dans une case. Mais ça m’amusait de le faire. Et ça donne de l’épaisseur à l’univers. C’est une période qui m’intéresse beaucoup. La montée des fascismes, des idéologies, la liberté écrasée en Espagne, l’antisémitisme flagrant dans tous les pays d’Europe… J’ai travaillé là-dessus de manière parabolique. J’ai pu l’aborder sans être prisonnier de l’aspect historique et, d’une certaine manière, ça a rendu les choses plus vivantes. Mais j’ai essayé d’apporter le «background» de cette horreur : la Secession, le Bauhaus, les surréalistes…
GESS : Plus ou moins. Pour Mabuse c’était évident de reprendre l’acteur des films de Fritz Lang, qui est la quintessence du personnage, en le faisant plus petit pour qu’il soit un peu grotesque. Marie Curie, Irène et Joliot Curie on été travaillé d’après photo. Pour Le Nyctalope, je voulais un personnage qui fasse très «français », pas du tout super-héros. A l’inverse pour le Passe-Muraille, je voulais un personnage élégant, charmeur, plus proche de Jean-Pierre Cassel que de Bourvil. Sinon, pour la plupart des autres personnages – Nous Autres, Felifax… – j’ai suivi Serge qui avait déjà des choses en tête.
GESS : Sur Teddy Bear ou Carmen Mac Callum je faisais des storyboards pour chaque page. Et je trouvais ces premiers jets plus intéressants que les pages finies où je perdais une vitalité à la réalisation. Avec La Brigade j’ai changé ma façon de travailler pour conserver ce dynamisme du storyboard en travaillant plus petit et plus vite. J’ai aimé bosser à ce rythme conséquent.
GESS : Entre le début et la fin de La Brigade également. J’avais au départ une envie d’épure. Je venais de découvrir Mignola et ça se sent. Je fonctionne à l’influence – Geoff Darrow et Liberatore pour Teddy Bear, Vatine pour Carmen Mac Callum. Ici, j’avais envie d’oublier tout mes acquis graphiques et de mettre le dessin au service de la narration. Même si, au fil des épisodes, le dessin est un peu revenu au premier plan. La difficulté et le plaisir sur la Brigade consistait à faire à la fois des pages qui soient narratives, signifiantes et, à côté, des choses plus symboliques, le tout caché derrière une couverture un peu mystérieuse à chaque fois, avec une montée en puissance. Si tu met les six couverture côte à côte, elles composent un dégradé qui va du clair au foncé, qui s’assombrit. J’ai tenté de faire le moins de choses gratuites possibles. J’ai vraiment construit les choses autour de la narration, du signifiant.

Propos recueillis par [ERIC D]
• La Brigade Chimérique. Episode 1 : Les sources
• La Brigade Chimérique. Episode 2 : La chute
• La Brigade Chimérique. Episode 3 : Questions à Serge Lehman
• La Brigade Chimérique. Episode 4 : Gess, l’entretien
EN SAVOIR PLUS
• L’actualité de la Brigade Chimérique sur sa page Facebook (le site n’est plus trop à jour).
• L’encyclopédie et le jeu de rôle de La Brigade Chimérique (Ed. Sans-Détour) sortira à l’occasion des Utopiales à Nantes (10 au 14 novembre). La newsletter de l’éditeur Sans Detour qui présente le projet.
• Le site de l’Atalante
• Une « bande-annonce » de la série
• La Société des amis de George Spad !
• Une exposition d’originaux de Gess sur La Brigade Chimérique aura lieu du 9 mars au 2 avril 2011 au Cadre d’Olivier , 6 rue de la Cerisaie à Paris (4e).


Merci de citer le site de la Société des amis de George Spad qui travaille à faire connaître l’œuvre de cette auteure méconnue dont le magnifique L’Homme chimérique, et d’explorer son œuvre poétique restée en très grande partie inédite.
Meilleures salutations spadiennes.